Dans le pied diabétique, l’amputation est secondaire à une plaie dans 85 % des cas. L’organisation mondiale de la santé (OMS) et la Fédération internationale du diabète (IDF) se sont fixées comme objectif de réduire ce taux de plus de moitié.
Mais, si on veut réduire le nombre d’amputations, il est temps de revenir sur certains a priori. D’une part, il n’y a pas « un pied diabétique » mais plusieurs types, selon le terrain, neuropathique, ischémique, ou neuro-ischémique. D’autre part, devant une plaie chez le diabétique, on implique toujours l’immunodépression, la micro- ou macro-angiopathie, la malnutrition, l’hyperglycémie, etc. sur lesquelles on n’a que peu d’effet, et cela détourne l’attention des problèmes réels : causes mécaniques locales, absence de décharge, terrain vasculaire. « Moins on fait de diabétologie dans le pied diabétique, mieux on le traite, avance le Dr Georges Ha Van (médecine physique et de réadaptation, unité multidisciplinaire de Podologie diabétique, La Pitié-Salpêtrière, AP-HP). On considère généralement que le pied diabétique peut attendre, ce qui suffit à expliquer le retard de cicatrisation. C’est comme si on temporisait devant un infarctus ! »
Une prise en charge en semi-urgence
Devant une plaie du pied chez un patient diabétique, l’examen clinique suffit à savoir s’il s’agit d’une atteinte neuropathique, que la décharge immédiate permettra de faire cicatriser rapidement, ou d’une lésion ischémique, qui doit bénéficier d’un bilan artériel dans les 24 à 48 heures pour une éventuelle revascularisation. Ce n’est qu’à ce prix qu’on obtient d’excellents résultats, en évitant les complications secondaires et qu’on peut diminuer de façon spectaculaire le taux d’amputations.
Plusieurs démarches diagnostiques doivent être menées parallèlement, et en urgence. Le type d’atteinte est accessible à un simple examen : en faveur d’une origine neuropathique, le mal perforant plantaire est une plaie indolore cerclée d’hyperkératose ; tandis qu’une plaie sur le côté ou le dos du pied, douloureuse, voire nécrotique, sans hyperkératose, témoigne d’une ischémie. Ces données visuelles peuvent être confirmées simplement par le test au filament et la prise des pouls.
Une surinfection doit être recherchée, au niveau des tissus mous ou de l’os sous-jacent à la plaie. Le prélèvement ne doit être réalisé qu’en cas d’infection clinique — érythème, chaleur, douleur, écoulement purulent [lire aussi p. 28] — voire de signes d’atteinte systémique. On recherche systématiquement un contact osseux, par un stylet complété par une radiographie.
Savoir lire une plaie
« Tout est écrit sur la plaie si on sait la regarder », relève le Dr Ha Van, pour qui ce bon sens permettrait d’éviter bien de « solutions » inadaptées. Ainsi, devant une plaie qui coule, il ne suffit pas de mettre un pansement super absorbant, mais de connaître la cause : soit elle coule parce qu’il y a un appui, et il faut mettre en décharge, soit il existe un problème passé inaperçu — ostéite, nécrose d’un tissu (aponévrose, tendon, ligament) ou AOMI mal évaluée. Un suintement périunguéal peut traduire une plaie sous-jacente ; un ongle au contact ou dans la plaie doit être retiré.
Il faut savoir reconnaître la nécrose humide, qui n’est pas seulement de l’ischémie mais aussi une plaie infectée ; traiter l’infection peut permettre de sauver la jambe, même en l’absence de revascularisation. Dans le même ordre d’idée, l’exposition osseuse dans la plaie ne doit pas conduire directement à l’amputation mais à un bilan radiologique, qui peut permettre de faire une résection osseuse partielle.
La douleur est un signe séméiologique majeur sur une plaie : avant de parler de douleur neuropathique à mettre sous morphine, il faut rechercher une infection, pas toujours manifeste ! Enfin, une plaie chronique peut toujours dégénérer en carcinome, y compris chez un sujet jeune et sans diabète.
Certains facteurs de gravité sont à dépister très précocement : une plaie profonde, avec décollement ou tunnellisation, contact osseux, écoulement osseux ou zone fluctuante, crépitations.
Tolérance zéro
La démarche doit être tout aussi stricte devant des plaies minimes. Il faut les prendre au sérieux, alors qu’elles sont souvent sous-estimées, y compris par le patient, notamment parce qu’elles sont indolores. « Alors qu’une plaie chez un patient diabétique a 90 % de chance de cicatriser lorsqu’elle est prise en charge dans les 48 heures », insiste Véronique Labbe-Gentils (podologue, Hôpital Avicenne, AP-HP).
Les plaies surviennent toujours en raison d’une hyperpression ou d’un frottement. Les rougeurs, phlyctènes, pathologies unguéales, malformations, et hyperkératoses doivent ainsi attirer l’attention. Il faudra rechercher le facteur déclenchant. En France, c’est en premier la chaussure, mais des déformations ou des gestes iatrogènes peuvent aussi être en cause. Les lésions pré-ulcératives font indiquer des orthèses plantaires, confectionnées par un professionnel formé au pied diabétique.
Il faut rechercher la présence d’une plaie sous une hyperkératose, sous un cor pulpaire périunguéal. Il est indispensable de traiter les ongles incarnés, les hématomes sous-unguéaux, de fraiser les ongles épais, de traiter les mycoses — ce qui passe généralement par l’ablation de l’ongle et éventuellement des antifungiques systémiques — « mais beaucoup de soignants rechignent à toucher à ces pieds diabétiques », dénonce la podologue.
Exergue : « Moins on fait de diabétologie dans le pied diabétique, mieux on le traite »
Sessions M2, M18
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