Les musulmans représentent un quart de la population mondiale. « Un nombre croissant d’entre eux choisissent de suivre le jeûne du Ramadan (de 12 à 18 heures par jour sans nourriture ni boissons), et certains bien que leur état de santé pourrait les en dispenser. Il devenait indispensable de réfléchir plus avant à une stratégie d’accompagnement de ces personnes, en particulier lorsqu’il s’agit de patients diabétiques de type 1 ou 2 insulinotraités », explique le Pr Rachid Malek (président de l’Alliance internationale diabète et Ramadan [DaR], CHU de Sétif, Algérie) qui présentait les nouvelles recommandations conjointes de la Fédération internationale du diabète (IDF) et du DaR à Nice (1, 2).
En 2004, une première enquête menée dans treize pays musulmans sur plus de 12 000 diabétiques avait mis en évidence que près de 43 % des DT1 et de 79 % des DT2 avaient jeûné au moins 15 jours lors du Ramadan (3). Et cela, indépendamment de l’accord, ou non, de leur médecin traitant.
Ce jeûne prolongé est un énorme pourvoyeur de déséquilibres glycémiques. Ils sont dominés par les hypoglycémies sévères nécessitant une hospitalisation, multipliées par huit (RR = 8). Il faut y ajouter les excursions hyperglycémiques (RR = 5), liées à la rupture brutale et massive du jeûne — repas souvent très copieux — sans oublier la déshydratation (les boissons sont interdites y compris sous les latitudes tropicales) et le risque d’acidocétose. Et, enfin, une prise de poids, de 2,7 kg par Ramadan en moyenne.
« Alarmés par ces données, nous avons mené deux vastes enquêtes au sein du DaR : DaR-Mena-T1DM en 2016 chez les DT1, puis DaR-global-survey en 2020 sur l’ensemble des diabétiques. L’idée était de préciser l’étendue du problème, et ces études ont confirmé les premières données alarmantes. D’autres travaux ont suivi (4), nous donnant matière à étayer les premières recommandations à ce sujet, qui dataient de 2016 », explique le Pr Malek.
Pendant le Ramadan 2017, une étude sur plus de 900 diabétiques Algériens avait révélé que plus de la moitié des jeûneurs étaient à des niveaux glycémiques élevés, voire très élevés : 1,97 g/L ± 0,65 en moyenne (5). Et 30 % des patients ont fait des hypoglycémies. Très manifestement, les DT1 abaissent leur niveau d’autosurveillance lors du Ramadan. Un patient sur cinq a été hospitalisé durant cette période — 36 % pour hyperglycémies, 24 % pour infections, 21 % pour hypoglycémies, 7 % pour déshydratation, 7 % pour pied diabétique, 2,4 % pour thromboses. « Ces résultats nous ont convaincus qu'on pouvait faire mieux, notamment en matière d'éducation thérapeutique », note le Pr Malek. Ces nouvelles recommandations ont été publiées peu avant le Ramadan 2022 (qui a commencé le 1er avril), de manière à pouvoir aider les médecins qui prennent en charge ces patients.
Un score de risque
Le score de risque pour préparer le Ramadan a été réévalué. « Cela constitue un vrai plus en pratique clinique. Ce score permet de mieux stratifier les patients, en fonction d’eux-mêmes, de leur diabète mais aussi du Ramadan », explique le Pr Malek. Un calculateur est disponible sur le site du DaR. Concernant le jeûne, sont pris en compte sa durée, la saison, la situation géographique, les changements sociaux associés et les expériences passées. Coté diabète, le type de diabète, son ancienneté, ses complications, le contrôle glycémique atteint avant le Ramadan, la prédisposition aux hypoglycémies sévères et la notion d’hypoglycémies non ressenties entrent dans l’équation. Enfin, on tiendra compte de l’âge du patient (adolescents et sujets âgés sont plus à risque), de sa profession, d’une grossesse et/ou allaitement, de son activité physique, sans omettre ses motivations et ses préférences personnelles en termes de cible et de type de traitement. Le jeûne est autorisé en cas de risque faible, déconseillé s’il est moyen et interdit s’il est élevé. Le médecin apporte ainsi des arguments au patient, mais doit l’accompagner malgré tout s’il persiste dans sa volonté, ce qui souvent le cas. Les résultats préliminaires d’une étude menée en 2021 montrent la validité de ce score DaR-IDF.
En pratique, une consultation doit être mise en place pour tout patient souhaitant jeûner, de 6 à 8 semaines avant le Ramadan. Elle permet d’évaluer le niveau de risque et d’établir un plan de gestion individualisé — ajustement thérapeutique, renforcement de l’autosurveillance glycémique — avec une éducation thérapeutique pré-Ramadan. Les patients doivent connaître les critères d’alarme qui devraient leur faire rompre leur jeûne (glycémie < 70 ou > 300 mg/dL, symptômes d’hypoglycémie ou de maladie aiguë).
« Il faut autant que possible prévenir plutôt que guérir. C’est-à-dire évoquer la problématique, s’y préparer, y préparer son patient bien en amont, de manière à alléger le fardeau du diabète et réduire les risques », conclut le Pr Malek.
Exergue : La préparation en amont est la pierre angulaire de la prévention des complications
(1) SFD 2022. Le score de risque du jeûne durant le Ramadan en pratique : Recommandations IDF-DaR 2022
(2) M Hassanein et al. Diabetes and Ramadan: Practical guidelines 2022. Diabetes Res Clin Pract 2022;185:109185
(3) I Sati et al. Epidiar study group. Diabetes Cares 2004:27:2306-11
(4) Hassanein MM et al. Diabe Res Clin Pract 2020:108584
(5) R Malek et al. Diab Res Clinl Pract 2019;185:109185
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