Éthique et DPNI

Il manque un débat public sur le sujet

Publié le 27/04/2015
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Certes, le diagnostic prénatal non invasif (DPNI) représente une avancée médicale majeure dans la prise en charge des couples, en évitant un nombre d’amniocentèses inutiles en cas de trisomie 21. Mais va-t-on continuer à dire qu’il ne sera accessible que lorsque le screening des facteurs de risque, de l’échographie et des marqueurs sériques déterminent les femmes à risque ? Comment vont se positionner les femmes et les professionnels devant un risque inférieur à celui retenu ? Les médecins seront-ils en position de refuser sa prescription ?

Autre question d’importance : est-ce que ce test va se limiter au diagnostic prénatal de la trisomie 21 ? À partir du moment où l’accès à l’ADN fœtal circulant est possible par simple prise de sang maternelle, on sait (et c’est très bien décrit dans la littérature internationale) qu’une grande partie, voire la totalité, du génome est accessible. Au-delà de la trisomie 21, la question sera de savoir quelles pathologies il faudra rechercher ou pas. On peut aujourd’hui prédire, en anténatal, le risque de développement de pathologies cardiovasculaires, de cancer et autres... En France, le DPNI peut être réalisé pendant le premier trimestre de la grossesse, c’est-à-dire dans le délai légal de l’IVG sans avoir besoin du passage devant un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN). Demain, les femmes pourront accéder aux données génétiques du fœtus et demander une interruption de grossesse en toute autonomie.

Il ne s’agit pas de politique-fiction

Il existe déjà des cliniques et des institutions de soins dans le monde qui mettent en œuvre cette technique de séquençage. Dans le cadre de la PMA, certes, ce qui n’empêche que la technologie existe !

Admettons également que, demain, on découvre un variant génétique dont l’expression clinique n’est pas évidente. Que faudra-t-il dire aux femmes ? Que vont-elles décider ? S’en remettre aux aléas de la nature et prendre des risques, ou agir selon un principe de précaution en interrompant la grossesse d’un enfant normal ou qui développerait une pathologie à un âge avancé de sa vie ?

« Sans nier le progrès médical auquel je suis très attaché, constate le Dr Grégoire Moutel, Il y a incontestablement un risque de glissement dans nos pratiques, lequel vise à interrompre la vie d’enfants porteurs ou suspects d’un risque. Certains parlent de dépistage ou d’interruption thérapeutique de grossesse. Mais il est bon de s’entendre sur le choix des termes. » Pour l’OMS, en effet, le dépistage existe pour prévenir et améliorer la qualité de vie des individus et la thérapeutique vise à guérir. Où se situe ici, l’interruption de grossesse motivée par un éventuel risque ? « Ce qui amène certains, souligne le Dr Moutel, à parler d’interruption sociétale de grossesse, la société n’acceptant plus certaines anomalies ».

La tentation de stigmatiser en fonction du risque

Derrière ces questions, se pose évidemment celle de l’acceptation de la différence. Notre société est en grande carence face au handicap (crèches, écoles, établissements spécialisés, personnel adéquat, etc.). Face à cette carence, les parents ont-ils vraiment l’autonomie du choix ? S’il n’y a pas de prise en charge conséquente du handicap, ils subissent la pression sociétale et n’ont plus le choix.

Le séquençage total du génome peut donc changer radicalement notre vision de la société et ses valeurs. Les sociétés savantes devraient s’emparer du sujet pour réfléchir à la nature des recommandations qu’elles devraient dispenser sur la façon d’informer les mères et les couples. Des lois peuvent aider. « Ainsi, explique le Dr Moutel, on peut imaginer une règle collective qui n’envisage le DPNI qu’en cas de dépistage de la trisomie 21. Mais les patientes auront quand même la possibilité d’envoyer leur échantillon sanguin à l’étranger et l’accessibilité au test échappera aux règles nationales ».

Se pose alors la question sur les notions de bienfaisance et de malfaisance. Être malfaisant, ce serait stigmatiser l’individu en fonction de son risque génétique. S’il encourt un risque, il devra payer plus pour sa protection sociale. Et, à l’extrême, on pourrait dire à un couple qui aurait refusé le test lors de la grossesse de la femme et dont l’enfant développerait tardivement une pathologie que c’est leur propre responsabilité et que ce n’est pas à la solidarité nationale de prendre ces problèmes en charge. « En France, conclut le Dr Moutel, on rejette facilement la responsabilité sur les autres. Dans le domaine dont il est question ici, on attend les avis des instances, du CCNE. Oui, mais qui va prescrire demain ? Les médecins ».

D’après la communication du Dr Grégoire Moutel, endocrinologue, chercheur en éthique médicale

Source : Le Quotidien du Médecin: 9407