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Dossier

Aux JO, une médecine de précision pour sportifs affûtés

Par Damien Coulomb - Publié le 21/06/2024
Aux JO, une médecine de précision pour sportifs affûtés


À Paris, plus encore qu’à Tokyo ou à Rio, les équipes médicales qui suivent la délégation française olympique auront un rôle de premier plan dans la prévention des blessures et l’optimisation de la performance.

À partir du 8 juillet, l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep) va servir de camp de base à 26 équipes olympiques et 10 équipes paralympiques, pour la dernière ligne droite avant les jeux. Certaines y resteront à demeure pendant toute la durée des épreuves. Cet établissement central dans la stratégie sportive française mise beaucoup sur sa composante médicale pour assurer le suivi de la performance des quelque 700 athlètes qui le fréquentent chaque année. « Nous veillons à la récupération de nos athlètes, insiste le Dr Sébastien Le Garrec, chef du pôle médical de l’Insep et médecin de l’équipe française de natation. Nous avons la chance d'avoir un centre d'imagerie avec une IRM, un scanner, un système EOS et un appareil Dexa pour mesurer la composition corporelle. »

Spécialiste de médecine du sport au CHU d'Angers et médecin de l'équipe de France d'athlétisme, le Dr Antoine Bruneau met l'accent sur l'intrication de sa spécialité avec les réseaux de soins locaux. « Nous nous coordonnons avec les professionnels de santé proches des athlètes qui sont un peu isolés dans leurs territoires », explique-t-il. Rien que pour suivre l’équipe française d’athlétisme, une armada d’une trentaine de médecins, plus de 60 kinésithérapeutes et cinq podologues sont mobilisés ainsi que des psychologues, une gynécologue spécialiste des pathologies de la femme sportive, et un pédiatre spécialiste des enfants sportifs de haut niveau.

Prévenir la blessure, et surtout la récidive

La mission primordiale des médecins de la délégation française est de prévenir les blessures. Depuis deux ans, l'équipe médicale de l'équipe de France d'athlétisme travaille avec une cellule d'optimisation de la performance, composée de licenciés en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), de scientifiques et de diététiciens, pour monitorer la charge d’entraînement. « Les mois précédant les Jeux olympiques sont particuliers, estime le Dr Bruneau. Il y a une pression et un surinvestissement qui rendent cette période plus accidentogène, en particulier pour la frange qui est juste un petit peu en dessous des minima exigés pour espérer se qualifier. » Pour le Dr Le Garrec, le sprint final avant les JO est également un moment délicat. « Il y a clairement un niveau élevé d’entraînement, explique-t-il. Malgré tout, les staffs techniques sont conscients du risque que la blessure fait peser sur la performance ». D'où un recours plus systématique à la consultation en cas d'alerte, même minime.

Les blessures se divisent en deux grandes catégories : celles qui menacent les pratiquants de sport de vitesse (lésions traumatiques des tendons, déchirures, claquages…) et celles qui concernent les sports d'endurance (lésions microtraumatiques, tendinopathies et fractures de fatigue). La localisation et la gravité dépendent du type d'épreuve pratiquée. Les sports de lancer sont, par exemple, pourvoyeurs de traumatismes des membres supérieurs. La natation, pour sa part, n'est pas traumatogène, en dehors du waterpolo, de la natation synchronisée et du plongeon. « C'est au cours de la préparation physique à sec ou lors de travaux de coordination que l'on peut se blesser », indique le Dr Le Garrec. « Il y a aussi les pathologies chroniques, les troubles du comportement alimentaire pouvant être à l’origine d'ostéopénie, sans oublier les pathologies psychiatriques qui peuvent s’aggraver pendant les périodes de préparation intense », complète le Dr Bruneau qui se souvient de plusieurs cas de schizophrénie décompensée par la compétition.

Variation de la fréquence cardiaque et carence en fer

Plusieurs facteurs peuvent aider à prédire la survenue de lésions, à commencer par les carences et leur contexte de survenue : les entraînements en altitude génèrent une consommation en fer importante et peuvent induire une fatigue accrue. « Nous prenons en compte les antécédents, l'examen clinique, le HRV (pour Heart Rate Variability, variation de la fréquence cardiaque, NDLR), détaille le Dr Bruneau. Ce qui nous permet d'évaluer l'état des systèmes sympathiques et parasympathiques. »

Des tests fonctionnels d'amplitude articulaire et de force sont faits chaque année en présaison, et ce bilan sert de point de référence pour vérifier qu'un sportif retrouve bien ses paramètres initiaux après une éventuelle blessure. Ainsi des tests isocinétiques permettent de mesurer le niveau force déployée pour atteindre une certaine vitesse. Le test de Hop est également un outil précieux pour évaluer les risques de valgus ou de varus de genou et rééquilibrer le cas échéant.

Corriger les déséquilibres musculaires

Si l'on prend à nouveau l'exemple de la natation, ses pratiquants ont une musculature très typée, avec des rotateurs internes très puissants (grand pectoral, grand dorsal, grand rond), et des rotateurs externes (muscle supra-épineux et petit rond) plus faibles. Le risque de ce déséquilibre est de créer un conflit d'épaule, avec à la clé une tendinopathie ou une bursite. Dans le basket aussi, les muscles extenseurs du genou (quadriceps) ont tendance à être plus puissants que les muscles fléchisseurs ischio-jambiers. Détectés à temps, ces déséquilibres peuvent bénéficier de mesures correctrices.

L'amélioration posturale fait l'objet de programmes de recherche comme le projet Fulgur au cours duquel des sauteurs, des sprinteurs et des pratiquants de rugby à sept, ont passé des tests isocinétiques et des séances de mesure de force-vitesse. Le but est d'identifier les facteurs de risque biomécaniques de blessure aux ischio-jambiers : longueur du biceps fémoral, force isocinétique particulière.

Reste à prendre en compte les conditions climatiques, les prévisions actuelles pariant sur un été 2024 avec des températures au-delà de la moyenne. La tolérance à la chaleur s'acquiert soit par des séances d'entraînement en s’exposant à ce type de conditions, soit par le recours à des thermo-rooms. On estime qu'il faut 10 à 15 jours pour s'acclimater, mais il faut composer avec le risque de déshydratation, sachant qu'une augmentation d’hydratation mal contrôlée peut se solder par un appauvrissement de la concentration en minéraux. Il faut donc une adaptation qualitative. Des stratégies de « précooling » (utilisation de vestes climatisées) et de contrôle des températures des eaux de boisson peuvent aussi être mises en place.

Les tests fonctionnels incluent désormais des marqueurs physiologiques, analysés au sein de structures comme le Laboratoire Sport, Expertise et Performance (SEP) destinés à mesurer la performance. Cela comprend la mesure du lactate afin de situer le seuil lactique. D'autres marqueurs, encore exploratoires, pourraient venir compléter la boîte à outils dans les prochaines années, tels que « les profils endocriniens ou certains biomarqueurs présents dans la salive », espère Claire Thomas-Junius de l'Université Saclay lors d'une table ronde organisée au Collège de France.

La cryothérapie, une efficacité encore à prouver

Le recours à la cryothérapie corps entier à – 120 °C est plébiscité par les athlètes. Le but : réduire l’inflammation systémique après une période d’entraînement intense pour améliorer la récupération et la prévention des blessures tendineuses. Et pourtant, « le niveau de preuve est faible », reconnaît le Dr Sébastien Le Garrec. À l’Insep, un débat a eu lieu pour savoir s’il était pertinent de remplacer les appareils installés depuis 2009. Le « oui » l’a emporté, promu par les sportifs au ressenti très positif. « Il y a quelques données qui montrent un intérêt de ces chocs thermiques pour améliorer la qualité du sommeil », concède le Dr Le Garrec.