LE QUOTIDIEN : Comment est assuré le suivi psychologique des athlètes de haut niveau en France ?
LISE ANHOURY : Ces athlètes sont paradoxalement mieux suivis que les sportifs professionnels. Depuis un arrêté de juin 2006, ils sont soumis à un bilan psychologique annuel obligatoire. Au cours de l'entretien, on balaie tous les aspects de leur vie : l'école, le travail, la famille, le sport, leur vie sociale, les troubles passés ou présent… On essaie d'avoir une photographie à l'instant T mais aussi de voir ce qu’ils ont pu vivre par le passé.
Ces bilans sont importants pour notre travail de prévention. Cela leur permet notamment de nous connaître. Les athlètes savent qu'il existe un espace de parole dont ils peuvent se servir ensuite s'ils le souhaitent.
Quel est votre rôle dans l'accompagnement de la performance ?
Lors des échanges, nous abordons des problématiques variées qui vont du sens du projet sportif aux effets du stress pour aller à la source de la problématique. Dans ma façon de travailler, j'essaie de comprendre l'origine de ce stress : s’agit-il du public ? Du lieu de la compétition ? Des résultats ?
On travaille également sur de la visualisation : si l'on parvient à imaginer une scène où l'on réalise une épreuve sportive, un enchaînement au trampoline par exemple, on peut améliorer notre capacité à réussir cet enchaînement. L’accompagnement psychothérapeutique aide les sportifs à comprendre leur propre fonctionnement.
Les JO sont-ils une période à risque pour les athlètes ?
Pas facile de répondre à cette question ! D'un côté le sport a un effet positif sur la santé mentale, mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit de 35 à 40 heures de pratique par semaine ? Cet événement se passe en France, devant les familles des sportifs. La difficulté que rencontreront les athlètes sera donc de rester concentrés sur leurs objectifs et de ne pas se laisser dépasser par les événements.
Les athlètes sont soumis à une pression que ne connaissent pas les jeunes du même âge, mais ils ont aussi des ressources énormes, car ils ont commencé tôt et ont grandi avec l’exigence du haut niveau. Les problématiques psychologiques ne sont pas nécessairement liées à la réussite sportive. D’autre part, les sportifs comprennent de plus en plus qu’il n’est pas nécessaire d’aller mal pour voir un psychologue. Teddy Riner parle publiquement du fait qu'il est suivi par un psychologue alors qu'il gagne presque toutes les compétitions auxquelles il participe.
À titre personnel, je pense que ce ne sont pas tant les sportifs de la délégation française qui sont les plus à surveiller, que ceux qui ne sont pas parvenus à se qualifier et qui seront bombardés d’informations sur cette compétition à laquelle ils tenaient à participer.
L’un des principaux moments de fragilité est d’ailleurs l'après-carrière, quand l'équilibre construit pendant des années est remis en question. Contrairement aux sportifs professionnels, les gens que nous suivons à l'Insep doivent tout gérer : études, sport, travail, famille… Cette gestion n'est pas simple et implique une vie très encadrée. Les athlètes s’entraînent à un rythme précis et peuvent mal vivre le moment où tout cela s'arrête. À l'Insep nous avons mis en place un suivi psychologique de six à douze mois pour ceux qui mettent fin à leur carrière sportive. Nous savons que certaines problématiques peuvent faire surface plusieurs mois après l’arrêt de leur sport.
La réaction des sportifs dépend en grande partie de la manière dont ils s’y sont préparés. Dans les sports à maturité précoce et à carrière courte comme la gymnastique, les pratiquants sont plus attentifs à ce qui se passera à la fin de leur carrière. Ils sont souvent plus enclins que les autres à faire des études.
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