LE QUOTIDIEN : Pourquoi était-il absolument nécessaire de proposer la thématique Covid-19 et travail au 36e CNMST ?
Pt MARIA GONZALEZ.Organisé tous les deux ans, le CNMST est la plus grande manifestation qui rassemble les professionnels du secteur dans le pays. Quand nous avons reprogrammé ce congrès en juin 2022, après l’annulation de 2020, personne ne savait où nous en serions en ce qui concerne l’épidémie de Covid-19 ! Mais il était impossible de ne pas ajouter cette thématique au programme scientifique initialement prévu. En effet, de nombreux professionnels ayant été mobilisés durant cette période, il était nécessaire de faire un retour d’expériences sur ce qui a été vécu dans les services de santé au travail, de revenir sur les difficultés mais aussi sur les points qui nous ont permis de progresser. De plus, il était important de discuter des retombées possibles, aussi bien sur la santé que sur le travail, et de tirer des leçons pour la prévention. Entendre les témoignages des uns et des autres était un véritable atout de cette rencontre, d’autant plus que le dernier congrès datait de 2018.
Deux sessions en plénière, des communications orales, des posters… Quels ont été les principaux sujets évoqués dans le cadre de cette thématique ?
L’appel à communication sur la thématique « Covid-19 et travail » a été bien reçu. On a senti une vraie volonté de témoigner de la part des professionnels, affectés plus ou moins directement mais, évidemment, tous concernés. Outre une session générale, qui a permis de faire le point sur la situation épidémique au moment du congrès, les communications ont porté sur plusieurs grands axes : retours d’expérience, actions de prévention et vaccination au sein des services de santé au travail (SST) ; suivi des salariés ou agents contaminés, retour et maintien au travail des personnes vulnérables ou atteintes de formes chroniques ou prolongées de Covid-19 ; évolution des conditions de travail, développement de nouveaux outils et mise en place de pratiques professionnelles inédites.
Comment les services de santé au travail ont-ils été affectés par la pandémie de Covid-19 ?
Il y a eu plusieurs périodes durant cette pandémie (qui n’est pas encore terminée) et les SST ont été mobilisés distinctement en fonction des événements. Ainsi, ceux des hôpitaux ont été très impliqués durant la première vague, étant présents quotidiennement aux côtés des personnels soignants ultra-mobilisés. En revanche, dans le secteur privé, il y a d’abord eu un moment de sidération, de flottement. Puis, une fois que l’activité a commencé à reprendre, les SST de ce secteur ont fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et d’innovation. Ils ont mis en place des téléconsultations, des webinaires. Ils ont fait en sorte d’accompagner les salariés comme ils pouvaient, dans un contexte parfois dégradé.
Puis, en 2021, la campagne de vaccination a démarré. À partir de là, la majorité des SST se sont encore plus impliqués. D’abord dans les hôpitaux, en un temps record, sachant qu’ils s’étaient également occupés du dépistage et du suivi des soignants. Et dans les autres secteurs, où les SST ont été moteurs pour la mise en place de la vaccination. D’ailleurs, alors que l’action des SST n’est pas toujours bien connue, y compris dans les hôpitaux, on a assisté à une dynamique inverse : il y a eu de vraies collaborations avec les autres services, des synergies inédites. Les SST sont « sortis de leurs murs » et ont gagné en visibilité.
Avez-vous quelques exemples de communications particulièrement évocatrices ?
Nous avons reçu des communications très intéressantes, aussi bien dans le domaine du soin que dans les autres secteurs. On peut par exemple évoquer l’étude consacrée à l’impact psychologique de la crise sanitaire du Covid-19 sur les soignants d’une unité temporaire de réanimation hors les murs (CO2-5), réalisée par Clément Duret (Hôpital Raymond Poincaré, Garches). Il s’est interrogé sur l’impact de ces nouveaux « espaces » (les services de réanimation, nettement plus investis depuis la pandémie) sur la santé mentale des professionnels et a constaté, dans l’établissement où il exerce, qu’il n’y avait finalement pas tant de différences que cela par rapport aux autres services.
Une autre communication enrichissante concernait le travail en Ehpad durant la pandémie (CO2-4). Présentée par Aude Cuny-Guerrier (INRS, Vandœuvre-lès-Nancy), cette intervention a pointé les conditions de travail dégradées affectant la charge physique et mentale des soignants, ainsi que la perception de leur santé. Je ne peux toutes les citer mais le congrès a vraiment été riche de ces partages d’expériences.
Le sujet du télétravail, qui s’est particulièrement développé depuis la pandémie, a-t-il été évoqué ?
La question du télétravail est encore compliquée à appréhender en ce qui concerne la santé au travail, car son application en France est encore assez récente, et elle très variable d’un secteur à l’autre, voire d’une entreprise à l’autre. Il y a de nombreux métiers, dans le transport, le bâtiment ou la logistique par exemple, où il n’est pas possible de le pratiquer. Ce qui est sûr, c’est que le télétravail mis en place durant la pandémie a permis de faire émerger de bonnes choses : gain de temps (sur les trajets, la vie personnelle), augmentation de la productivité et limitation des interruptions, une certaine autonomie des salariés, une adaptation des managers sur la façon d’encadrer ces salariés, etc. En revanche, il est indispensable de bien encadrer le télétravail, sur les conditions de mise en place, de suivi et de limitations, pour éviter les dérives. Il faut que les salariés disposent d’un espace dédié et d’équipements, matériel informatique et connexion adaptés. Il faut faire attention aux personnes fragiles, isolées, aux risques de majoration des conduites addictives ou de troubles dépressifs, le lien avec le collectif de travail doit être maintenu et, de ce fait, le télétravail limité en durée. Le rôle des SST est, et va être, fondamental, notamment en ce qui concerne la prévention primaire. Nous devons conseiller l’employeur et les salariés sur le respect des temps de pause, de l’ergonomie du poste à domicile, même si c’est difficile puisque — justement ! —, nous n’y avons pas accès. Nous devons mettre en place un suivi en santé au travail des salariés et veiller à leur droit à la déconnexion. Nous manquons encore de recul sur ce sujet mais, pour nous, le télétravail est un nouveau risque professionnel. Il doit être évalué au même titre que les autres risques.
Quels sont les principaux enseignements de la mobilisation des services de santé au travail durant la pandémie ?
La diversité des communications a permis de voir à quel point la période a été complexe… et qu’il n’en ressort pas que du négatif. En effet, il y a eu des initiatives, des collaborations inédites, des innovations. Cette crise nous a montré que les SST pouvaient travailler en réseau avec efficacité, qu’ils ne devaient pas rester isolés. Nous avons vu qu’ils étaient moteurs en cas de crise majeure. Moteurs pour faire de la prévention et du suivi, moteurs pour accompagner les salariés dans leur retour à l’emploi après des covid longs.
En termes de perspectives et de leçons pour l’avenir, je crois qu’il faut souligner deux choses : l’humilité et l’adaptation. L’humilité sur les connaissances, car nous avons vu que la situation pouvait évoluer rapidement, que notre savoir sur ce nouveau virus était régulièrement remis en question. Et la nécessaire adaptation, corollaire de cette humilité. Oui, nous devons être réactifs. La capacité d’adaptation de nos services est essentielle. Il faut donc continuer à se remettre en question, à apprendre et à se former pour être capables de revoir nos pratiques, individuellement et collectivement, quand la crise arrive.
Exergue 1 : « On a senti une vraie volonté de témoigner de la part des professionnels »
Exergue 2 : « Les SST sont « sortis de leurs murs » et ont gagné en visibilité »
Article suivant
Salariés hypertendus
Incontournable Covid-19
Salariés hypertendus
TMS en centre d’appel téléphonique
La santé des professionnels du soin en question
Les défis des nouvelles technologies
Les limites de la psychologie positive
Réorganisation de la santé au travail
Les SMS du congrès CNMST 2022
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?