Une nouvelle approche d’observation et d’évaluation

Les clés d’un allaitement maternel instinctif

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Publié le 03/04/2020
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Pourtant considéré comme un acte naturel, l’allaitement fait l’objet de diverses recommandations, parfois de véritables diktats, qui sont aujourd’hui scientifiquement obsolètes. Arrêter les injonctions et faire confiance aux femmes semblent être une meilleure approche.
En contact ventral continu, bien sécurisé sur le corps de sa mère

En contact ventral continu, bien sécurisé sur le corps de sa mère
Crédit photo : Phanie

« L’allaitement est toujours une histoire personnelle, une relation entre la mère et le nouveau-né. La sécrétion maternelle se fait en fonction des besoins du nourrisson », souligne le Dr Marc Pilliot. Il faut donc oublier les injonctions sur le nombre de tétées, sur leur durée, sur la pesée quotidienne. On ne peut pas « chiffrer » l’allaitement maternel : les nouveau-nés tètent pour de multiples raisons.

Éviter les directives

Le lait est fabriqué en continu, à un rythme qui se ralentit au fur et à mesure du remplissage des seins ; les capacités de stockage sont variables d’une femme à l’autre, voire d’un sein à l’autre : « la règle d’or sera de vider le premier sein complètement avant de passer à l’autre », rapporte le Dr Pilliot. C’est donc le nouveau-né qui régule la sécrétion : il faut en informer les mères et les encourager à s’écouter et à garder leur nourrisson « à la bonne adresse », c’est-à-dire au sein autant que possible lorsqu’elles démarrent l’allaitement.

Ceci est d’autant plus important que les données récentes sur le Biological Nurturing (BN), ou Allaitement Instinctif, soulignent l’impact délétère de l’excès de directives qui, en stimulant le néocortex, bloquent la sécrétion d’ocytocine. Suzanne Colson, chercheure et fondatrice de l’approche BN, suggère que détente, lâcher prise, confiance en soi sont les clés d’un allaitement instinctif.

Réflexes instinctifs

Les dogmes tombent aussi en matière de position. « On est souvent dans une notion de verticalité, alors que le nouveau-né n’est pas encore un bipède, mais un quadrupède », poursuit le Dr Pilliot, qui plaide pour que la mère soit dans une position détendue, un peu comme celle adoptée lorsqu’on regarde la télévision dans son canapé. Le nourrisson se retrouve alors dans une position semi-inclinée, en contact ventral continu, bien sécurisé sur le corps de sa mère, sans avoir besoin de gérer les forces de gravité qui l’éloignent d’elle quand elle est trop verticale. Spontanément, la mère enveloppe son enfant avec ses bras, met ses mains sous ses fesses ou ses pieds et l’aide à se hisser vers le sein, capacité que le nouveau-né exerce avec ses réflexes archaïques dès la naissance lorsqu’il est posé sur sa mère : le nouveau-né pousse sur ses pieds pour se rapprocher du sein tandis que le « grasping » sur le sein stimule la sécrétion d’ocytocine lorsqu’il tète. Le nourrisson peut utiliser ses réflexes archaïques dans tous les états de conscience, y compris pendant la somnolence ou le sommeil paradoxal (dit agité). Ces deux états de conscience sont optimaux pendant les six premières semaines : cela permet à l'enfant de mieux mémoriser et conditionner ses réflexes archaïques pour coordonner sa succion, sa déglutition et sa respiration.

Le contact ventral continu entre mère et nouveau-né est très important lors des premiers jours, voire semaines, pour que l’allaitement soit ensuite confortable. Le rôle des professionnels est alors limité : encourager les mères à garder leur nouveau-né à la bonne adresse, protéger leur intimité, veiller à leur confort et évaluer la tétée.

Satisfaire aux besoins mère/nouveau-né

Plusieurs paramètres reflètent l’efficacité d’une tétée. Au moment de la succion, à partir du troisième jour, le nourrisson fait des mouvements amples du menton, en salves rythmiques ; la déglutition est visible au niveau de la gorge et audible ; la bouche est humide lorsqu’il lâche le sein. À partir de la première semaine, les selles sont de trois à quatre par jour, mais elles peuvent devenir plus rares après un mois, sans que ce soit anormal. À partir de la deuxième semaine, les urines seront toujours jaune clair et abondantes : six couches lourdes de pipi chaque jour.

Enfin, il faut se méfier si l'enfant fait déjà ses nuits avant six semaines car la prolactine, l’hormone principale de la sécrétion lactée, fait un pic vers 4 heures du matin. Par ailleurs, chez le nourrisson, la fonction du sommeil profond est immature pendant la première année de la vie : l’objectif n’est donc pas de faire dormir l'enfant toute la nuit, mais de satisfaire aux besoins mère/nouveau-né pendant ces premières semaines.

Quant à la mère, pendant les premières semaines, lorsque le nouveau-né tète efficacement, le sein tété devient plus souple, certaines mères peuvent ressentir des picotements au niveau du mamelon, souvent le lait perle à l’autre sein et la maman peut avoir soif. À partir du troisième enfant, certaines mères peuvent ressentir des contractions lors des tétées. Tous ces signes traduisent une pulsatilité élevée de l’ocytocine. Autant de signes qui montrent que l’allaitement se passe bien, ce que confirmera la pesée de l’enfant une fois par mois chez le médecin.

Dr Isabelle Hoppenot

Source : Le Quotidien du médecin