« On regarde encore un homme qui boit comme un bon vivant, mais une femme qui boit comme une femme ‘de mauvaise vie’. Les questions des tabous et de la morale sont de véritables dangers de santé publique, s’insurge la Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve (Hôpital Saint Anne). L’alcoolisme est un condensé de toutes les problématiques psychiques et sociales que vivent les femmes aujourd’hui : éléments dépressifs, cumul des responsabilités, difficultés sexuelles, problèmes conjugaux. »
On sait que les femmes sont plus exposées aux complications de l’alcoolisme, comme l’hépatopathie, plus fréquente chez la femme pour des doses moindres. Aucune des hypothèses émises pour expliquer la plus grande vulnérabilité des femmes à l’alcool n’a pu être formellement démontrée. On n’a pas retrouvé de différences de métabolisme en fonction de la phase du cycle menstruel, l’activité de l’alcool déshydrogénase serait plus faible, le seul élément d’explication pourrait être la masse corporelle inférieure.
Une alternance dépression/culpabilisation
L’alcoolisation féminine est particulière car souvent solitaire, le soir, dans le but de « s’assommer » avec souvent un contexte dépressif ; elle s’accompagne de sentiments de culpabilité le lendemain. Les ivresses de type agressif sont plus rares que chez les hommes. Les femmes décrivent un craving beaucoup plus fort que celui des hommes, renforcé par les comorbidités associées : autres addictions, dépression, anxiété, etc.
L’addiction à l’alcool se marque sur le visage, souvent bouffi, cerné, atteint de couperose, avec une prise de poids, une odeur âcre de la sueur, des phanères fragilisés, des stigmates volontiers masqués sous un surplus de parfum ou de maquillage. Le caractère change, avec une irritabilité, un isolement progressif. « L’alcool entretient des relations très étroites avec l’intime féminin, qui donc ne s’exprime pas facilement, car vécu comme un peu obscène, ce qui amène à de très longues évolutions et un passé de 15 à 30 ans d’alcoolisme », poursuit l’addictologue. La honte, la crainte de perdre leur emploi ou la garde de leurs enfants empêche souvent les femmes de se plaindre, contribuant à la sous-estimation de cette souffrance.
Des facteurs de vulnérabilité
Les femmes sont d’autant plus exposées qu’elles ont des antécédents familiaux, et surtout maternels, d’alcoolisme, de dépression ou d’anxiété, des histoires personnelles d’anxiété au cours de l’enfance, d’abus sexuels (les addictions et en particulier à l’alcool sont la première conséquence des abus sexuels), de maltraitance ou de traumatisme, de troubles du comportement alimentaire (la boulimie multiplie par 16 le risque d’addiction à l’alcool). Contrairement à ce qu’on peut croire, l’alcoolisme concerne surtout des personnalités évitantes ou passive/dépendantes.
Certains facteurs environnementaux pèsent lourd : problèmes relationnels avec les proches, stress professionnel, précarité de l’emploi, mauvais accès aux soins, familles monoparentales…et le mariage serait un facteur de mauvais pronostic chez la femme !
Rechercher les comorbidités psychiatriques
Les troubles de l’humeur ou du comportement sont trop souvent attribués à l’alcool, alors qu’ils sont pratiquement la règle chez les femmes souffrant d’addiction à l’alcool. Il est indispensable de repérer et prendre en charge les addictions à d’autres substances, en particulier médicaments, tabac, cocaïne, les troubles du comportement alimentaires, la dépression, les troubles anxieux type phobie sociale, les troubles bipolaires.
Session « Women health » Addict’elles association, assoaddictelles@gmail.com
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