Le verbe facile, le sens de la formule, le sourire accroché aux lèvres, la poignée de mains franche et directe… Le Dr Borhane Ferjani semble avoir les qualités requises pour briguer les suffrages, qu’il s’agisse de ceux de ses confrères ou de ceux de ses concitoyens. C’est d’ailleurs vers la politique que ce généraliste toulousain est en train de glisser, doucement mais sûrement. Il est en effet depuis un an le suppléant de la députée La République en marche (LREM) Sandrine Mörch, élue en juin dernier dans le sud de la ville rose. Et en juin prochain, il compte bien troquer son siège de suppléant au Conseil départemental de l’Ordre des médecins (CDOM) de Haute-Garonne contre un poste de titulaire.
Rien ne prédisposait pourtant ce natif de Gabès, petite ville tunisienne située face à Djerba, à fréquenter les salons feutrés des instances ordinales ou les abords mouvementés du Palais-Bourbon. « Mes parents, instituteurs, se sont acharnés à me faire apprendre le français », explique-t-il. Et une fois son bac en poche, la famille l’envoie étudier en France, au prix de ce qu’il qualifie de « sacrifice financier énorme ». Le voilà donc inscrit au milieu des années 1980 à la fac toulousaine de médecine de Rangueil, travaillant comme infirmier pour boucler les fins de mois. « Cela a été laborieux », se souvient le praticien qui dit avoir peiné à s’intégrer, mais qui garde tout de même un souvenir ému de cette période.
L’immigration au cœur
Sa première installation, en 1999, se fait place du Capitole. Dans ce quartier favorisé, il pratique ce qu’il appelle « une médecine de confort » qui ne le comble pas tout à fait. En quête de davantage d’utilité sociale, il s’installe trois ans plus tard à la Reynerie, à deux pas des fameuses cités du Mirail. « Il y a moins de ces briques rouges qui font le charme de Toulouse, et plus de barres, mais je m’y éclate », avoue-t-il. Il faut dire que ce déménagement lui a permis de retrouver l’une des problématiques qui, notamment en raison de son histoire personnelle, l’intéressent le plus : l’immigration.
« Quand on a affaire à des populations qui peinent à s’exprimer en français, pour qui passer un coup de téléphone est compliqué, on se sent vraiment utile comme médecin traitant », estime-t-il. Mais la gestion quotidienne d’un cabinet médical ne suffit pas à combler ce touche-à-tout. En parallèle de son activité libérale, il travaille donc à mi-temps à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), antenne du ministère de l’Intérieur pour laquelle il est notamment chargé d’évaluer l’état de santé des personnes qui demandent un titre de séjour pour raisons médicales. Cette activité est difficile émotionnellement : Borhane Ferjani estime que dans environ la moitié des cas, il est amené à refuser le titre de séjour demandé. « C’est parfois dur de dire non, mais nous avons un beau modèle social, et il faut le préserver », confie-t-il.
Dans le grand bain politique
Il ne faudrait cependant pas croire que ce sont de telles considérations qui ont poussé le généraliste vers la politique. « À l’origine, c’était totalement intéressé », sourit-il, avouant que sa candidature comme suppléant de Sandrine Mörch au printemps 2017 avait principalement pour objectif de lui ouvrir des portes afin de trouver des subventions pour la maison médicale dont il assure la responsabilité : une structure ouverte de 20h à minuit dans le quartier de la Faourette, non loin de celui de la Reynerie.
Mais bien qu’entré en politique par une porte dérobée, le médecin va s’y montrer redoutablement efficace. « Il a été un ambassadeur génial, se souvient Sandrine Mörch. On a fait les marchés, on a bu du thé à la menthe, il parlait en arabe, cela a été un énorme soutien pendant la campagne. » La députée reconnaît qu’il est fait pour la politique. « Je n’espère pas mourir, parce qu’il prendrait ma place directement, plaisante-t-elle. Mais j’aimerais qu’il fasse carrière, qu’il s’empare de quelque chose et qu’il fonce. »
À l’assaut de l’Ordre
Une possibilité que Borhane Ferjani n’écarte absolument pas. « La politique, ce n’est qu’un début », indique-t-il, énigmatique. Mais en bon pragmatique, il sait aussi prendre les combats les uns après les autres, et se concentre actuellement sur l’élection au CDOM, qui aura lieu le 5 juin en Haute-Garonne. Jamais en mal d’un bon mot, le généraliste dit vouloir « des ordinaux à l’image des ordinaires ». C’est d’ailleurs pour éviter que l’Ordre ne devienne « une caste où c’est l’entre-soi qui prime », où certains « parlent de la permanence des soins sans jamais avoir fait une garde de leur vie », qu’il est devenu conseiller suppléant dans son département il y a une dizaine d’années. Mais cette fois-ci, il compte bien être élu titulaire.
« Il y a des décisions importantes qui vont se prendre, et je veux participer au processus », annonce-t-il. Parmi les questions qui lui tiennent à cœur, il cite notamment la laïcité de l’exercice médical. « On n’est pas dans un pays où l’on peut choisir si on peut être soigné par une femme ou par un homme, plaide-t-il. Or il y a des personnes qui ne veulent pas que leur fille fasse des études, mais qui veulent qu’elle soit soignée par un médecin femme. Vous voyez le paradoxe ? »
Borhane Ferjani tient un discours d’une égale fermeté sur les questions d’asile ou de radicalisation, et il l’assume totalement. Il se dit même convaincu que ses origines et ce qu’il appelle avec un grand sourire ironique son « teint célestin » peuvent lui permettre de faire passer son message républicain plus facilement auprès des populations qui ont le plus de difficulté à l’accepter. Voilà qui ressemble furieusement à ce qu’en politique, on appellerait une profession de foi.
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