Excipients : rien à signaler
Le lactose a été remplacé par du mannitol et de l’acide citrique. « On utilise depuis des années ces excipients présents dans la pharmacopée européenne, et dans de nombreux autres médicaments ou même dans des chewing-gums : il n’y a aucun problème en termes de tolérance », rassure le Dr Violaine Guérin, endocrinologue. Les doses ne doivent pas non plus inquiéter : « Le mannitol est présent à dose quasi-homéopathique, et l’acide citrique (du jus de citron) et lui aussi en posologie très faible », ajoute Stéphane Mouly, vice-président de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT), responsable du groupe communication, professeur de thérapeutique à l’université Paris Diderot. « Loin de moi l’idée de minimiser les effets indésirables, ils existent et il faut les prendre en compte, mais faut-il les attribuer à ce changement d’excipient ? Plutôt pas. » Comme le résume un communiqué commun de la Société Française d’Endocrinologie (SFE), du Groupe de Recherche sur la Thyroïde (GRT), de la Société Française d’Endocrinologie et Diabétologie Pédiatrique (SFEDP), et du Conseil National Professionnel (CNP) d’endocrinologie : « Ces excipients sont présents dans d’autres médicaments, et certains produits alimentaires de consommation courante. Ils sont utilisés, ici, à des doses sans effet notoire. C’est-à-dire que les doses utilisées sont inférieures aux doses provoquant des effets indésirables. »
Bioéquivalence : les règles sont respectées
Suite à la demande par l’ANSM au laboratoire Merck de changer d’excipient pour assurer une meilleure stabilité au Lévothyrox, le laboratoire a réalisé, comme cela est nécessaire, une étude de bioéquivalence. « Cette étude a montré un faible pourcentage d’effets indésirables tels que des céphalées, ce qui est une situation classique », rapporte le Pr Mouly. « Elle a aussi montré une variabilité inter et intra-individuelle, elle aussi classique. L’équivalence des biodisponibilités a été prouvée, la concentration plasmatique est la même, avec un intervalle de confiance étroit : on considère donc que l’effet est identique. » L’étude a cependant été réalisée sur des volontaires sains, avec l’administration unique d’une forte dose. « L’étude de bioéquivalence, avec une forte dose de Lévothyrox, et donc d’excipient, ne rapporte pas de différence dans les effets indésirables rapportés. Mais la forte dose administrée est une dose unique, et ne remplace pas une étude d’administration prolongée à des patients », souligne le communiqué de la SFE. En revanche, impossible de comparer les déclarations d’effets indésirables de l’ancienne formule avec ceux déclarés pour la nouvelle : « l’attention portée à cette nouvelle formule a entraîné une réaction en chaîne, tout le monde déclare et s’inquiète, c’est devenu passionnel et la situation est donc totalement différente d’avec l’ancienne formule », souligne le Pr Mouly.
Des symptômes peu spécifiques
Comme le rappelle le Dr Claude Pigement, vice-président du Conseil d’administration de l’ANSM, « il faut écouter la parole des patients, 9 000 signalements, ce n’est pas négligeable, cela signifie que ces personnes sont perturbées dans leur vie quotidienne. » La SFE et les autres sociétés savantes, ainsi que tous les experts interrogés, insistent eux aussi sur la réalité des symptômes. Mais desquels parle-t-on au juste ? Fatigue, vertiges, crampes, maux de tête, perte de cheveux… « Ces symptômes sont peu spécifiques mais pourraient être en lien avec l’hypothyroïdie – même si quand on fait des dosages, on remarque chez nos patients seulement quelques rares cas de déséquilibres », indique le Pr Françoise Borson-Chazot, endocrinologue au CHU de Lyon. « Et si la biodisponibilité du médicament était mauvaise, on en verrait beaucoup plus. »
Un vrai problème de communication
« Il y a eu une sous-estimation du problème en amont : on savait tous qu’il s’agissait d’un médicament sensible à marge thérapeutique étroite, mais cette donnée n’a pas été soulignée dans le courrier envoyé aux 100 000 professionnels de santé au moment du changement de formule », reconnaît le Dr Pigement. « Dans le même temps, il y a peut-être aussi eu un manque d’attention des professionnels en question à cette information. Nous devons en tirer des conclusions pour l’avenir. » Ce problème de communication a été reconnu par la ministre de la santé Agnès Buzyn, qui a indiqué vouloir lancer une mission de réflexion pour définir comment mieux informer les patients à l’avenir. Une décision globalement saluée par les différents acteurs.
Tous les troubles ne sont pas dus au Lévothyrox
La SFE, qui rappelle comme tous les experts interrogés la nécessité de ne pas interrompre le traitement, conseille aussi de « vérifier, comme cela est déjà préconisé, que l’équilibre du traitement, n’a pas été modifié par la nouvelle formulation du Lévothyrox, s’il existe des symptômes nouveaux, en tenant compte de l’histoire propre de chaque patient. » Mais le dosage de la TSH n’est pas le Graal. Le Dr Violaine Guérin rappelle en effet la nécessité d’un examen clinique et d’un interrogatoire pointilleux, soulignant qu’elle a déjà constaté chez des patientes des événements intercurrents (patch de nicotine surdosé, infarctus du conjoint entraînant un fort stress…) qui pouvaient expliquer nombre de symptômes, avant même de faire appel à la biologie. En l’état actuel des choses, il est en effet difficile d’associer directement au changement de formule tous les effets indésirables ressentis par les patients. Les hypothèses alternatives ne manquent pas. « Les pathologies thyroïdiennes sont très liées au stress et dans une situation de stress comme celle-ci, avec le battage médiatique qui existe, on ne fait qu’en rajouter », souligne le Dr Guérin. L’effet nocebo, lui aussi lié à la médiatisation, est aussi avancé, de même que les événements intercurrents parfois oubliés devant la déferlante Lévothyrox. Le Pr Borson-Chazot, qui avoue une certaine « perplexité » devant des symptômes datant parfois d’avant la médiatisation, conseille de vérifier une possible anémie et de bien reprendre le suivi des patients : « il y en a certains que je revois maintenant, à cette occasion, alors que je les avais perdus de vue depuis des années. »
Un marché captif
« Il n’y a pas d’alternative au Lévothyrox car tout le monde s’est détourné des génériques et les laboratoires qui les fabriquaient ont quitté le marché français, du coup, il y a un monopole », rappelle le Dr Pigement. Ce qui peut participer au problème… Le Pr Borson-Chazot, qui revient juste du congrès de la Société européenne de la thyroïde, indique ainsi que d’autres pays européens ont eu des problèmes similaires à l’occasion de changements de formule (des changements différents de celui qui nous occupe aujourd’hui) : « quand une substitution était possible, les patients sont passés à une autre formule et les plaintes ont cessé. Quand il n’y avait pas d’alternative, c’est l’ouverture du marché aux génériques qui a fini par résoudre le problème. » La mise à disposition de nouvelles spécialités dans un mois, comme l'a annoncé Agnès Buzyn, sera peut-être la solution à cette panique collective. Les autorités de santé ont aussi décidé le retour temporaire à l'ancienne formule qui devrait être disponible dans une dizaine de jours.
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