UN MARAIS et la forêt ont régné sur les lieux jusqu’à la 2e guerre mondiale. Puis un village est sorti de terre, un de ces hameaux pittoresques aux maisons branlantes qui peuplent la Sibérie. Un trou perdu, à plusieurs heures de route de Krasnoyarsk, la capitale de la région. Une poignée d’habitations sont connectées à Internet. Le centre médical n’a pas cette chance. « À quoi bon. Parler avec l’hôpital par téléphone, cela suffit », relativise le Dr Galina Jarenova.
Le Dr Jarenova est l’unique salariée du dispensaire, construit sous ses yeux en 1968. Le médecin a passé toute sa carrière ici. Après 43 ans de bons et loyaux services, Galina, à 63 ans, rêve de passer la main. Aucun jeune ne veut prendre la relève, alors Galina continue. Le rythme est éprouvant, le salaire, dérisoire (8 000 roubles par mois, 191 euros), mais impossible pour le Dr Jarenova d’abandonner les villageois qui, sans elle, seraient privés d’accès aux soins. « Je mets au monde les enfants, je suis les grossesses, je soigne les maladies chroniques, les urgences. Je remplace tous les spécialistes », glisse le généraliste avec un large sourire.
Le quotidien de Galina Jarenova est très éloigné de la vie de ses confrères installés en ville. Son centre médical - la région de Krasnoyarsk en compte près de 900, hérités de l’ère soviétique - est aussi sa maison. Une baraque en bois et toit de tôle, sous la neige dix mois par an. Des roses et des fraises dans le jardin, l’été. Deux chiens montent la garde : la forêt est sûre, mais on ne sait jamais. Le lino orange fait mal aux yeux mais Galina a su rendre l’endroit coquet. Sa salle d’attente ne désemplit pas, 40 consultations par jour. Les dossiers médicaux, alignés sur des étagères en bois, sont tenus à jour avec minutie. Ni échographe, ni ECG, mais l’eau chaude tout de même, et un stock permanent de médicaments, que le médecin achète en ville et revend à ses patients, pour la plupart sans voiture - la pharmacie la plus proche est à 40 km.
L’activité de Galina Jarenova s’adapte aux évolutions de la société russe. « J’accouche moins souvent car les couples ne font plus qu’un enfant. Et je reçois des hommes qui boivent de plus en plus, et qui meurent plus tôt que les femmes. C’est l’homme, le sexe faible ! », dit-elle dans un éclat de rire. Puis, avec tristesse, cette confidence : « Je donne la santé aux autres mais j’y ai laissé la mienne. En Russie, la santé publique repose sur la volonté des gens. Ma petite fille va rentrer à l’école de médecine, je ne veux pas qu’elle vienne travailler ici. C’est difficile, il faut être là constamment. Et l’argent manque. J’ai dû vendre ma vache car je n’avais plus les moyens de la nourrir ».
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