DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
LA SCÈNE a marqué les esprits. Alors qu’il faisait visiter son hôpital aux Français de passage à Moscou, cet été, en marge des assises médicales franco-russes, le Dr Leonid Rochal a reçu un appel sur son portable. Poutine en direct. « Vous avez gagné la partie, lui dit ce dernier. J’ai demandé à la Douma de revoir sa copie ». Rochal raccroche, tout sourire. Il raconte son échange avec le Premier ministre et reprend la visite, comme si de rien n’était.
Leonid Rochal n’est pas n’importe qui. C’est même une célébrité dans son pays. Poutine l’avait choisi comme médiateur lors d’une prise d’otage il y a quelques années. Son acte de bravoure lui a valu une décoration, en bonne place sur son bureau. Rochal dirige un hôpital pédiatrique d’État à la renommée internationale, qui intervient aux quatre coins de la planète lorsque surgit une catastrophe.
Populaire, frondeur, le Dr Rochal est devenu le fer de lance de la contestation médicale en Russie. Le caillou dans le soulier de la ministre de la Santé, qu’il juge trop proche des industriels de la santé. Un poste exposé ? Lui se dit serein : « J’ai 78 ans, et pour l’instant, on ne me licencie pas ».
Nostalgie.
Il n’est pourtant pas simple en Russie de critiquer le pouvoir. L’opposition n’a pas eu voix au chapitre avant les législatives, remportées dimanche par « Russie unie », le parti de Medvedev et Poutine. Rares sont les médecins à critiquer ouvertement le projet de réforme de l’organisation des soins. Rochal, lui, monte au créneau. « Cette réforme délaisse la composante sociale et rend le système de santé de plus en plus payant », fustigeait-il en juillet, nostalgique de l’époque soviétique qui offrait « des soins gratuits et bien organisés » malgré un sous financement patent. « Aujourd’hui, l’argent passe avant l’intérêt du patient », se désolait alors le chirurgien.
Rochal dit parler au nom de sa communauté, même si bon nombre de médecins prennent avec lui ses distances. Sensible à ses arguments, Poutine est intervenu à la veille du vote du texte par la Douma. Un grand débat national a été lancé, et la loi, finalement, a été adoptée il y a quinze jours, fortement amendée. Rochal a gagné son combat. Le salaire des professionnels de santé est relevé, un programme d’État garantit la gratuité des soins, des normes sont instaurées pour élever la qualité des soins d’Ouest en Est.
D’autres lois suivront, sur le don du sang, les transplantations, l’assurance contre les accidents médicaux.
Mais Rochal veut aller plus loin. Il rêve d’un Conseil de l’Ordre à l’européenne pour structurer la profession, et peser face au pouvoir politico-économique. « En France, observe-t-il, le ministère de la Santé ne s’occupe pas des affaires professionnelles transmises à l’Ordre. En Russie, le ministère de la Santé a peur de la critique. Il veut tout avoir entre ses mains, mais il n’a pas assez de mains pour cela ».
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