Elles consultent volontiers, et avant 50 ans, toujours plus que les hommes : selon l’Insee, les femmes représentent 61,5 % des consommateurs de soins en médecine de ville. Mais elles s’y révèlent moins confiantes et plus stressées que les hommes, comme le souligne la gynécologue médicale Anne de Kervasdoué, qui suit la vie intime des femmes depuis plus de 30 ans. Tandis qu’une partie de la population féminine moins favorisée reste à l’écart des soins, les patientes qui poussent la porte de son cabinet se montrent moins sereines qu’avant, vis-à-vis de leur santé et de sa prise en charge par le corps médical.
Des réticences plus fréquentes
Globalement, pourtant, la médecine de la femme a progressé. La contraception est en principe plus facile, vu la gamme de solutions, entre nouvelles pilules plus faiblement dosées, aux effets secondaires diminués, nouveaux stérilets plus faciles à insérer et plus fiables, et les dispositifs type patch ou implant. Le cancer du sein est mieux dépisté et son traitement s’est amélioré, grâce aux thérapies ciblées. Celui du col de l’utérus est désormais globalement évitable grâce à la vaccination HPV. Entre rééducation périnéale et nouvelles techniques de chirurgie mini-invasives permettant la pose de bandelettes, l’incontinence urinaire ne devrait plus être un tabou. Quant à la douleur, elle ne devrait plus être « intégrée » comme un passage obligé de la condition féminine : ni pendant l’accouchement, grâce à la péridurale, ni à chaque retour de règles, la prise en compte de l’endométriose progressant enfin.
Pourtant, elles tournent parfois le dos à ces progrès, résistent plus souvent « à tout ce qui n’est pas “naturel”, manifestent beaucoup de réticence vis-à-vis des hormones (voir encadré), pour la contraception ou le traitement de la ménopause », témoigne le Dr de Kervasdoué. Même vis-à-vis de la douleur, les patientes sont parfois résignées. « Lorsque je propose un traitement pour les soulager, certaines me disent, à la consultation suivante, avoir préféré faire sans », poursuit la gynécologue.
Entre information et surinformation
À quoi attribuer leurs réticences ? Une charge mentale tous azimuts, difficile à gérer ? « Elles courent beaucoup plus après le temps, tout est toujours urgent », confirme la gynécologue, stressées et tiraillées entre une foule d’injonctions contradictoires. « Plus informées, elles ne le sont pas toujours forcément bien, à la merci du moindre écho d’accident, rare, relayé par les médias, se fiant plus à ce que disent ou relaient leurs pairs, amplifié par les réseaux sociaux », constate la gynécologue, frappée par exemple de voir des jeunes femmes de 30 ans réclamer des mammographies, terrifiées par le cancer du sein. « Ils sont devenus plus visibles parce que des jeunes femmes en témoignent et sont souvent plus graves en effet, mais les chiffres n’ont pas bougé : il ne touche que 7 % des femmes avant 40 ans. »
Moins de paternalisme, plus de partage
Sensibilisation à l’endométriose, campagnes contre les discriminations sexistes dans la prise en charge médicale : les préoccupations qui émergent dans la société civile et qui les touchent contribuent cependant aussi à stimuler recherche et pratique médicale, relevait le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport remis au ministère de la Santé en décembre dernier (Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique).
Hors de question de déplorer que les patientes soient plus et mieux informées, précise la gynécologue, qui a étendu son temps de consultation à un minimum d’une demi-heure, pour prendre le temps de détricoter, expliquer et rassurer. L’épais guide médical consacré à la vie intime des femmes qu’elle publie le 9 juin prochain* a le même objectif : « les aider à comprendre, avant ou après une consultation, et éclairer leurs choix ». Les réticences « tombent petit à petit par la discussion, on le voit bien avec le vaccin », abonde le Pr Gilles Lazimi, qui se réjouit franchement de l’évolution des consultations vers moins de paternalisme et plus de partage : « la meilleure relation thérapeutique, rappelle-t-il, est celle de l’alliance avec le patient ». Depuis son cabinet de généraliste dans le XXe arrondissement parisien, le Dr Mady Denantes confirme : les consultations ne ressemblent plus à ce à quoi elle était formée en débutant il y a 30 ans. « Cela a changé, mais en mieux. Les mouvements militants nous remettent en question bien sûr, mais en pointant des choses que nous n’avions pas vues, nous poussent à plus respecter la décision des femmes. Je ne demande plus jamais pourquoi elle souhaite une IVG, ou une contraception, comme on me l’avait appris, mais en revanche toujours la permission avant de pratiquer un examen gynécologique. »
Si la généraliste a revu sa copie, cela ne l’empêche pas d’inviter les patientes à ne pas jeter tous les progrès avec l’eau du bain. Quoiqu’heureuse que les jeunes femmes aient contribué à remettre « le tout pilule systématique en question » et se pliant évidemment à leur choix, Mady Denantes ne se prive pas de leur rappeler « que c’était quand même un progrès génial. Et que leurs batailles doivent respecter celles que nous avons menées. »
*La Vie intime des femmes, Anne de Kervasdoué, éditions Odile Jacob, 720 pages, 19,99 euros
L'hormonophobie, un phénomène récurrent
Ces dernières années ont vu s’accroître les réticences des femmes à utiliser des traitements hormonaux, avec des craintes largement relayées par les réseaux sociaux et les médias, et l’émergence du concept d’« hormonophobie ». Toutefois, cette peur des hormones n’est pas une problématique récente, rappelle le gynécologue Teddy Linet (Saint-Nazaire), mais « un vieux phénomène qui survient par vagues ».
Un premier mouvement de défiance est apparu dans les années 1960 avec la mise sur le marché des pilules œstroprogestatives, porté par deux craintes : la prise de poids et le risque de cancer. Une seconde vague a suivi dans les années 1990 avec « la première déferlante anti-pilules de 3e génération » et les premiers évènements thrombo-emboliques, rappelle le Dr Linet. « Dans les années 2000, l’hormonophobie s’est ensuite portée sur le THM », après l’étude WHI suggérant notamment un surrisque de cancer du sein. Une seconde vague anti-pilules de 3e génération a émergé à la décennie suivante, suivie depuis peu par une autre, centrée sur les macroprogestatifs et leur lien avec des cas de méningiome.
« Chaque fois, il y a, à la base de l’hormonophobie, une exagération des risques associés aux hormones, et une sous-estimation des bénéfices qui leur sont associés », déplore le Dr Linet, tout en reconnaissant que, dans certains cas, ces questionnements contribuent à remettre en cause certaines pratiques peu étayées par la littérature, à l’instar de la prescription hors AMM de macroprogestatifs (type Lutényl® et Lutéran®) pour des ménométrorragies, des syndromes prémenstruels, en contraception, etc.
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