Les États-Unis connaissent depuis quelques années une « épidémie » d’overdoses liée à la consommation d’antalgiques opioïdes. Quelque 65 000 décès ont été rapportés en 2016, plus de 200 000 depuis 1999, principalement par abus de chlorhydrate d’oxycodone, dont la prescription en cabinet de ville avait explosé depuis une vingtaine d’années. « Si la situation en France n’a rien à voir, quelques signaux d’alerte doivent toutefois être pris en compte », a mis en garde Nathalie Richard, directrice adjointe des médicaments et des addictions à l’ANSM.
Les données sur l’exposition aux antalgiques pour la période 2006-2015 montrent que le paracétamol est le plus utilisé dans notre pays. Durant cette période, la consommation s’est accrue de 53 %, avec une part prépondérante des formes à 1 g (+ 140 %), tandis que les formes à 500 mg ont baissé de 20 %. La consommation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens est restée stable, avec toutefois là aussi une augmentation des formes dosées à 400 mg, au détriment de celles à 200 mg (- 48 %) et de l’aspirine (- 68 %).
La consommation globale des opioïdes faibles a diminué de 53 %, conséquence du retrait du dextropropoxyphène en 2011, mais celle de la codéine (le plus consommé en ville), du tramadol (le plus consommé à l’hôpital) et de la poudre d’opium s’est accrue. Quant à celle des opioïdes forts, elle a augmenté, de 613 % pour l’oxycodone entre 2006 et 2015, de 263 % pour le fentanyl transmuqueux, et de 72 % pour le transdermique. La morphine est le plus consommé en ville. « Les opioïdes sont prescrits à 95 % par les médecins généralistes », a rappelé Nathalie Richard.
+ 71% dans les douleurs non cancéreuses
Ce sont 17,1 % des Français qui ont bénéficié du remboursement d’un antalgique opioïde en 2015. La prescription d’opioïdes faibles a été de 16,7 %, en baisse de 12 % depuis 2004, celle d’opioïdes forts de 0,92 %, en hausse de 74 % sur la même période. Mais c’est l’augmentation de 71 % des prescriptions de ceux-ci pour des douleurs chroniques non cancéreuses qui pose question.
Parallèlement, les hospitalisations pour intoxication par un opioïde prescrit ont plus que doublé (+ 128 %) entre 2000 et 2015. Dans 30 % des cas, il s’agissait de patients traités pour un cancer ou en soins palliatifs, dans 13 % de patients pharmacodépendants aux opiacés, mais près de 6 fois sur 10 (57 %) il s’agissait de douloureux chroniques. Dans ce dernier groupe, d’un âge médian de 60 ans, composé aux deux tiers de femmes, la délivrance d’un antalgique opioïde avait été faite dans 56 % dans les trois mois précédant l’hospitalisation. En 2016, 84 décès toxiques antalgiques ont été recensés : 34 après prise de tramadol, 22 de morphine, 16 de codéine et 8 d’oxycodone.
« En France, le phénomène est de bien moindre ampleur qu’aux États-Unis, mais l’augmentation des intoxications aux opioïdes chez des patients douloureux chroniques doit interpeller », a insisté Nathalie Richard, avant de rappeler que les médecins généralistes sont au premier plan pour favoriser le bon usage de ces médicaments indispensables dans la prise en charge de la douleur.
Pour la codéine, l’augmentation du nombre de cas de détournements à usage récréatif par des mineurs et des jeunes adultes a conduit fin 2017 à rendre obligatoire la prescription médicale des médicaments concernés, avec prise d’effet immédiate. Les premières remontées de terrain témoignent de l’émergence et l’entrée dans le soin d’une population de consommateurs dépendants qui étaient en dehors d’un parcours de soins. Quant au tramadol, des cas d’abus sont rapportés en plus grand nombre depuis 2011, notamment chez des migraineux ou des sportifs. De même, on observe depuis 2013 une augmentation des cas d’addiction à l’oxycodone, qui bénéficie d’une image plus positive que la morphine, alors que son potentiel de dépression respiratoire est plus élevé. Enfin, des cas de dépendance primaire se développent chez des patients algiques prenant du fentanyl transmuqueux, tout comme des abus et dépendances à la forme transdermique. Le sulfate de morphine pose quant à lui le problème de son détournement par des usagers de drogues.
Les médecins généralistes ont un rôle essentiel à jouer, en particulier dans la prise en charge des douleurs chroniques non cancéreuses et des douleurs neuropathiques, « pour lesquelles, comme l’a rappelé en conclusion Nathalie Richard, les antalgiques opioïdes n’ont qu’une efficacité modérée. »
D’après la communication de Nathalie Richard, ANSM
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