Un air méditerranéen au cœur des montagnes

Les Pyrénées côté Aragon

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Publié le 18/11/2022
Passé le massif de Néouvielle, il émane de la chaîne pyrénéenne, en Espagne, un parfum franchement méridional. Autour de la ville fortifiée d’Aínsa, le massif dévoile des vallées et des canyons splendides, ponctués de villages rustiques. Un territoire propice à l’itinérance contemplative.
La Peña Montañesa

La Peña Montañesa
Crédit photo : PHOTOS PHILIPPE BOURGET

Parc national d’Ordesa et du mont Perdu, canyon d’Añisclo, gorges d’Escuain… Ces noms ne disent rien ? Ils sont pourtant à deux pas de l’Occitanie, juste derrière la frontière des Hautes-Pyrénées et de la vallée d’Aure. Depuis Saint-Lary-Soulan, la route jusqu’à Bielsa conduit en une quarantaine de minutes à ce territoire hispanique. Changement de paysage radical ! Le tunnel de Bielsa, coupure drastique entre les deux pays, propulse les automobilistes d’un paysage de versants pluvieux et verdoyants à des reliefs secs et bruns, émaillés de falaises calcaires, sous un soleil ardent. L’escapade prend un tour d’autant plus insolite que, hormis la mue géographique, elle s’accompagne d’un virage culturel, Espagne oblige.

La descente du rio Cinca depuis la sortie du tunnel de Bielsa ouvre plusieurs choix de digressions. À droite, les hauts versants sont ceux du territoire du Parque Nacional de Ordesa y Monte Perdido. Un vaste espace protégé dominé par le Mont Perdu, plus haut sommet calcaire d’Europe (3 352 m). 12 km après la sortie du tunnel, la vallée de Pineta y conduit. Elle démarre à Bielsa, joli village aux ruelles pentues, hôte chaque mois de février d’un authentique carnaval. Les célibataires s’y déguisent en trangas, personnages mi-hommes, mi-boucs, arborant des casques à cornes et des toisons. Les filles de plus de 16 ans deviennent des madamas, habillées de robes colorées. Ronde, danses… : le spectacle est total. Au bout de la route-impasse tracée depuis Bielsa, un impressionnant cirque calcaire se déploie, d’où jaillit la cascade del Cinca. C’est le « Gavarnie espagnol ». Dans une tradition très ibérique, le fond de la vallée est occupé par un hôtel Parador, vaste bâtisse en pierres sombres idéale pour une étape chic.

Cette mise en bouche achevée, le village de Tella offre une deuxième halte agréable. Perché à 1 384 m d’altitude, il déploie une poignée de maisons aux toits couverts de lauzes. Les marcheurs opteront pour les balades pédestres conduisant à l’un des trois ermitages cachés dans les hauteurs. Retour ensuite dans la vallée du Cinca. Après avoir longé la Peña Montañesa, longue barre calcaire dont un éperon isolé ressemble étonnamment au mont Aiguille, dans le Vercors, c’est le moment de bifurquer à nouveau à droite, direction les gargantas (gorges) d’Escuain. Bienvenue dans le fond du monde ! L’étroite route remonte le rio Yaga, avant de buter sur le village d’Escuain. En lisière du parc national, il dévoile des maisons abandonnées, une église en ruine et conduit à un sentier-belvédère à grand spectacle. Là, au-dessus des gorges, devant d’immenses falaises, planent les becs jaunes d’alimoches (vautours percnoptères), dont l’ombre portée se reflète sur le calcaire…

Du bas des gorges d’Escuain démarre une autre route étroite, remontant le rio Bellós. C’est le fameux canyon d’Añisclo. Depuis le village perché de Puyarruego, l’itinéraire file jusqu’à Fanlo, à 22 km. Le long de l’eau verte du rio, surplombé d’immenses parois calcaires, des hayas (hêtres) centenaires, des aigles royaux et des vautours distraient le conducteur. Mieux valait ne pas être là en 1977, lorsque la rivière en crue grimpa jusqu’à 2 m au-dessus de la route… En chemin, coup d’œil à l’ermitage de San Úrbez, occasion d’une promenade en boucle de 45 minutes. Plaquée sous la falaise, la chapelle conduit au bord du Bellós. Passerelle, cascade, sentier à l’ombre…, la balade est belle et rafraîchissante.

Le plus grand spot touristique du territoire est la vallée d’Ordesa. Depuis Fanlo, la route dévale vers le rio Arazas et le village de Sarvisé. Au-dessus, à droite, se dressent Las Tres Sorores (Les Trois Sœurs), le Monte Perdido, le Cilindro de Marboré (3 328 m) et le Soum de Ramond (ou Pico de Añisclo, 3 263 m). Broto est l’avant-dernière étape avant Ordesa. Arrêt dans ce bourg commerçant de vallée, irrigué par le rio Arazas. Son église fortifiée, sa Torre del Carcel (Tour de la Prison), ses ruelles et sa cascade de Sorrosal, double chute d’eau située à 300 m du village, lui valent une fréquentation méritée.

Plus loin, Torla est l’ultime halte avant l’entrée du parc. On se balade avec plaisir dans cette commune à la pierre sombre, incarnée par son étroite rue centrale et sa plaza de la Constitucíon. Des seniors, le soir, viennent y prendre le frais. Le nombre de randonneurs l’indique : Ordesa est une terre de sports outdoor. Mais pour se rendre au cœur de la vallée et profiter des grands espaces, oubliez la voiture. Seuls des bus assurent depuis Torla la desserte de ce cirque majestueux. Une mesure sage pour protéger un parc parmi les plus intègres des Pyrénées.

Reste à visiter Aínsa, la petite capitale de ce territoire. Posé au-dessus du rio Cinca, le casco antiguo (centre ancien) brille par sa Plaza Mayor, magnifique rectangle pavé entouré d’édifices en pierres brunes, reposant sur des galeries d’arcades et dominé par un clocher. La place, occupée par des terrasses de cafés et de restaurants, est très animée en saison. Au-delà se déploient des passages sous voûtes et des escaliers qui ramènent à la ville basse, ouvrant ici et là des panoramas sur la vallée et le lac de Mediano. Juste de l’autre côté de la frontière, le dépaysement est à portée de main.

Philippe Bourget
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Source : Le Quotidien du médecin