CINEMA/« Shutter Island », de Martin Scorsese

Montreur d’ombres

Publié le 02/03/2010
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Crédit photo : A. COOPER/SMPS

SOIT, en 1954, sur une île à l’accès très surveillé, au large de Boston, une institution psychiatrique de haute sécurité qui abrite des aliénés ayant commis un crime et présumés dangereux. Soit un policier, hanté par ce qu’il a vu à Dachau, lorsque, soldat, il a participé à la libération du camp, et par la mort violente de son épouse. Soit une enquête, sur la disparition d’une femme, qui va tourner au cauchemar.

Le roman de Dennis Lehane*, écrit après « Mystic River » (porté à l’écran par Clint Eastwood, avec le succès que l’on sait), est un polar gothique qui ne pouvait manquer de séduire Martin Scorsese. Ce dernier y a trouvé notamment des échos du « Cabinet du Dr Caligari », œuvre qu’il admire beaucoup. Il a été séduit par le mélange des genres, du thriller noir à l’horreur pure, et surtout par « la manière dont l’histoire change et évolue perpétuellement, dont la réalité glisse sans arrêt ».

Tout le film repose ainsi sur ce que le personnage principal perçoit ou interprète. Quel rôle jouent les psychiatres ? Que se passe-t-il dans la section inaccessible gardée par des hommes armés ? Qui est vraiment la disparue ? Les réponses changent sans cesse. C’est ce qui fait que l’on reste extérieur au film, tout en admirant la plupart des scènes, qu’elles soient d’action ou de rêve (du côté du cauchemar, bien sûr) – certaines resteront dans la mémoire des cinéphiles. En admirant aussi les acteurs, Leonardo DiCaprio en tête, Ben Kingsley, Mark Ruffalo, Michelle Williams, Patricia Clarkson, pour n’en citer que quelques-uns.

Au passage, Scorsese évoque la difficile condition des malades mentaux dans certains asiles de l’époque – c’est le tout début des neuroleptiques, avec la chrorpromazine, et les chaînes et la lobotomie sont encore des recours fréquents** –, le traumatisme du conflit mondial et de la Shoah et les peurs liées à la guerre froide. Tout cela passionnant. Mais on a à peine le temps d’y réfléchir qu’on est passé à autre chose. Trop de rebondissements, trop de sujets, trop de talents...

* De Dennis Lehane, ne pas manquer « Un pays à l’aube » (Rivages/Thriller), paru l’an dernier, fresque historique et sociale de grande ampleur qui se situe en 1919, lors d’une grève des forces de police.

** Scorsese a montré à son équipe le documentaire « Titicut Follies », consacré en 1967 par Frederic Wiseman à la prison d’État psychiatrique de Bridgewater, dans le Massachusetts, film qui contribua à la réforme des institutions psychiatriques.

RENÉE CARTON

Source : Le Quotidien du Médecin: 8720