Comme dans beaucoup de pays occidentaux, la France se caractérise par un taux de sédentarité élevé – 40 % de la population adulte est en dessous des seuils d’activité physique –, ce qui génère des maladies chroniques et des décès évitables. Une association entre l’activité physique et six pathologies chroniques (maladies cardiovasculaires, diabète de type 2, cancer du sein, cancer de la prostate, démence et dépression) est d’ailleurs retrouvée dans les méta-analyses.
Pour ce qui est du vélo, la synthèse des études épidémiologiques rapporte que 100 minutes de pratique par semaine réduisent la mortalité de 10 %, toutes causes confondues, ainsi que les risques de cancers, de diabète et de maladies cardiovasculaires. Or l’édition 2019 de l’enquête publique décennale de l’Insse « Mobilité des personnes » (qui a reposé sur un échantillon représentatif de près de 14 000 Français interrogés en 2018 et 2019) montre que les adultes pédalent à peine plus de 2 km par semaine (10 minutes) ; il s’agit d’hommes dans les trois quarts des cas (lire encadré).
100 minutes de vélo par semaine réduisent de 10 % la mortalité toutes causes
2 000 décès par an déjà évités
Ces données épidémiologiques permettent de tirer des chiffres intéressants à l’échelle nationale. « À partir de l’enquête de l’Insee, nous avons montré qu’avec actuellement moins de 10 minutes de vélo par semaine (soit sept fois moins que ce que font les Hollandais de plus de 75 ans !), on évite déjà annuellement 2 000 décès par an et près de 6 000 cas de maladies chroniques (diabète et maladies cardiovasculaires) », explique Kévin Jean, épidémiologiste et professeur junior en santé et changements globaux (École normale supérieure, Paris).
Dans cette même enquête, il a été regardé quels trajets de moins de 5 km, qui sont pour moitié effectués en voiture, pourraient être remplacés par du vélo : « Si seulement un quart de ces petits trajets étaient réalisés à vélo, les bénéfices obtenus seraient doublés », indique Kévin Jean.
Quid du vélo électrique ? Pour l’épidémiologiste, il a toute sa place : « Il permet de faire 75 à 90 % de l’effort réalisé sur un vélo classique : cela reste donc une activité physique aussi intense que la marche, tout en incitant des personnes qui ne feraient de toute façon pas de vélo à s’y mettre ». Le vélo électrique permet aussi d’aller plus loin : il a été montré que sur des vélos électriques, les personnes avaient tendance à parcourir 10 à 20 km.
Une volonté politique avant tout
Pour autant, il ne suffit pas de dire aux gens de pédaler, il faut leur proposer des infrastructures pour le faire en toute sécurité, soit des pistes cyclables séparées de la route ou des voies uniquement réservées aux vélos. Réduire la place de la voiture en ville, proposer des infrastructures adaptées : ce sont des décisions politiques. De même, si l’on veut qu’il s’agisse d’un mode de déplacement interconnecté, et pas seulement d’un sport, il est indispensable de pouvoir mettre les vélos dans les trains. « Actuellement, la question est souvent abordée sous le seul angle individuel (chacun choisit ou non d’aller au club de sport, etc.), alors que certaines décisions publiques – comme construire des pistes cyclables – sont susceptibles d’influencer collectivement ces choix », déplore Kévin Jean.
Le coût des pistes cyclables est inférieur au prix des maladies chroniques évitées
Kévin Jean
Les coûts des pistes cyclables sont déjà inférieurs au prix des maladies chroniques évitées avec le niveau d’activité observé en 2019 : avec 2 000 décès et 6 000 maladies chroniques évités, ce sont 200 millions d’euros en moins par an pour la Sécurité sociale à l’échelle de la France, et 5 milliards annuels si l’on prend en plus les coûts sociaux. « Ainsi, chaque kilomètre parcouru à vélo évite environ 1 euro de coûts sociaux en santé ! », résume Kévin Jean.
Outre la prévention primaire, le vélo est aussi intéressant en prévention secondaire.
Moins de pollution
Effet indirect du vélo : en remplaçant la voiture, il réduit aussi les émissions de polluants atmosphériques, délétères pour la santé. Là encore, si on part des trajets de moins de 5 km, si le vélo était préféré à la voiture une fois sur deux (soit pour un quart des petits trajets), les émissions de CO2 seraient réduites de 250 kilotonnes par an, ce qui éviterait 1 800 décès annuels et 2,6 milliards d’euros des coûts sociaux de santé. « C’est plus que les politiques en matière de sécurité routière au cours des dix dernières années », fait remarquer Kévin Jean, pour qui « la promotion du vélo doit continuer à passer par l’activité de recherche, pour montrer les bénéfices économiques à en attendre, mais aussi par les services d’aménagements urbains et les fédérations françaises des usagers de la bicyclette. Il reste encore beaucoup d’idées reçues : comme quoi le vélo est culturel, que ce n’est pas pour tout le monde et potentiellement dangereux, ou qu’une batterie électrique de vélo pollue (alors qu’avec la batterie d’une voiture thermique, on fait 60 batteries pour vélos électriques !) ».
Des pistes non genrées ?
À ce jour, en France, en raison du manque de sécurité, les trois quarts des kilomètres parcourus à vélo le sont par des hommes, alors qu’au Danemark, où l’on compte énormément de pistes cyclables, il y a autant de femmes que d’hommes qui pratiquent.
Dans notre pays, les bénéfices sanitaires du vélo ont donc surtout bénéficié aux hommes jusqu’à présent. Sécuriser la pratique permettrait de faire venir plus de femmes et d’enfants, et donc de réduire ces inégalités de santé.
Entretien avec Kévin Jean, épidémiologiste à l’École normale supérieure
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