Quelle place pour le mavacamten dans la cardiomyopathie hypertrophique obstructive ?

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Publié le 05/07/2024
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L’arrivée du mavacamten, qui agit de façon spécifique sur un des mécanismes causant la cardiomyopathie hypertrophique, bouleverse la prise en charge des formes obstructives de cette cardiopathie. Toutefois, des questions restent ouvertes sur la gestion de ce traitement et ses effets à long terme.

Échocardiographie Doppler couleur d’un patient avec CMHo

Échocardiographie Doppler couleur d’un patient avec CMHo*
Crédit photo : DR

*AO : aorte ; OG : oreillette gauche ; VG : ventricule gauche ; flèche pleine : mouvement systolique antérieur de la valve mitrale, avec contact mitro-septal en systole ; flèche creuse : flux accéléré d’obstruction dans la chambre de chasse du ventricule gauche

Commercialisé depuis avril 2022 aux États-Unis, puis approuvé par l’Agence européenne des médicaments en juin 2023, la mavacamten, premier représentant d’une nouvelle classe thérapeutique – les inhibiteurs allostériques sélectifs de la myosine cardiaque –, bénéficie depuis septembre dernier d’une autorisation d’accès précoce pour le traitement des patients adultes atteints de cardiomyopathie hypertrophique (CMH) obstructive (CMHo), avec des symptômes (stades II-III de la classification NYHA) persistants sous traitement de fond.

Une physiopathologie mieux connue

Pathologie d’origine génétique, qui touche au moins un adulte sur 500, « la CMH se caractérise sur le plan structurel par une hypertrophie des parois du ventricule gauche prédominant sur le septum interventriculaire et, sur le plan moléculaire, par une augmentation du nombre de liens actine-myosine au sein du cardiomyocyte, rendant le ventricule plus rigide (avec diminution de compliance, source de gène au remplissage) et hypercontractile », rappelle le Pr Albert Hagège, hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP. Cette hypercontractilité, dans une cavité rétrécie par l’hypertrophie septale, entraîne une accélération du flux sanguin dans la chambre de chasse du ventricule gauche en systole, attirant la valve mitrale vers le septum, anomalie pouvant créer une véritable gêne à l’éjection du sang dans l’aorte, qui définit les formes obstructives.

Obstruction dans deux tiers des cas

L’obstruction est mise en évidence et quantifiée par la mesure en échocardiographie-Doppler (figure) du gradient maximal VG-aorte (figure) ; elle est avérée à 30 mmHg ou plus et importante si ≥ 50 mmHg.

Environ deux tiers des patients atteints de CMH présentent une CMHo : pour un tiers, l’obstruction est présente au repos (et en général majorée par l’effort) ; pour un tiers, elle est présente uniquement à l’effort, ce que l’on peut essentiellement prédire lors de l’échocardiographie si elle est provoquée par une manœuvre de Valsalva. Seuls un tiers des patients présentent une CMH non obstructive, ni au repos, ni à l’effort.

La présence et la sévérité de l’obstruction prédisent en général celles des symptômes d’effort

 

Les patients avec CMHo sont plus volontiers symptomatiques, la dyspnée d’effort étant corrélée également à la sévérité de l’obstruction. L’obstruction contribue à la diminution du débit cardiaque (notamment à l’effort), source d’insuffisance cardiaque (IC) bien particulière, puisque la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) est le plus souvent supranormale (de l’ordre de 70 %), mais elle peut être réversible avec les médicaments.

La sévérité de l’obstruction est aussi corrélée au risque de mort subite par arythmie ventriculaire, peu fréquente dans cette maladie, mais difficile à prédire et plus répandue chez les sujets jeunes. Ainsi, les patients avec CMH sont très différents de ceux souffrant d’IC d’origine ischémique ou hypertensive, plus jeunes, de présentation clinique hétérogène (symptomatiques ou pas, avec risque de mort subite à tout âge).

Une efficacité spectaculaire

Jusqu’alors, la prise en charge médicale des CMHo symptomatiques faisait appel à un bêtabloquant ou au vérapamil, avec des effets bénéfiques souvent modestes, et jamais évalués dans des essais randomisés.

Les recherches menées depuis plusieurs années ont permis de développer deux grands types de modulateurs de la myosine : des activateurs, avec des résultats pour l’instant décevants dans les cardiopathies avec FEVG altérée, et des inhibiteurs, dont le mavacamten, premier sur le marché, et l’aficamten, molécule de deuxième génération encore en développement.

Le mavacamten, qui agit en inhibant l’ATPase de la myosine en cause dans la formation excessive des ponts myosine-actine, a fait la preuve de son efficacité spectaculaire dans un vaste essai randomisé international, Explorer-HCM, ayant inclus, en double aveugle versus placebo, des patients avec CMHo (≥ 50 mmHg, au repos ou après provocation), symptomatiques (NYHA II/III) malgré le traitement médical. Il s’est montré significativement supérieur au placebo, tant sur l’obstruction d’effort, les symptômes et les indices de qualité de vie, que sur des critères plus objectifs comme l’augmentation du pic de consommation maximale d’oxygène d’effort ou la baisse des taux de NT-proBNP et de troponine.

Une autre étude, Valor-HCM, qui a inclus 112 patients avec CMHo sévèrement symptomatiques (NYHA ≥ III) adressés pour ablation septale, a de son côté montré que seuls 17,9 % d’entre eux restaient éligibles à une ablation après 16 semaines de traitement par mavacamten, comparativement à 76,8 % de ceux sous placebo.

Ces bénéfices majeurs ont rapidement conduit les sociétés savantes nord-américaines et européennes à modifier leurs recommandations de prise en charge : elles préconisent désormais le mavacamten en deuxième intention (après échec de monothérapie par bêtabloquant ou vérapamil) dans la CMHo.

« Actuellement, quelque 150 à 200 patients reçoivent ce traitement en France dans le cadre de l’autorisation d’accès précoce délivrée par la Haute Autorité de santé, dont une trentaine à l’HEGP, qui avait participé à l’étude Explorer-HCM », précise le Pr Hagège.

150 à 200

patients reçoivent déjà le mavacamten en France dans le cadre de l’autorisation d’accès précoce

Plusieurs inconnues

« Il faudra confirmer la sécurité d’utilisation de ces nouveaux médicaments dans la vraie vie, car ils peuvent entraîner une réduction de la FEVG, le plus souvent très modérée (< 5%) ne nécessitant pas de modification de traitement, rarement plus importante et dans ce cas toujours réversible à l’arrêt du traitement, comme cela a été rapporté chez 7 patients inclus dans l’essai clinique princeps », poursuit le spécialiste. Le traitement doit être débuté à la dose de 5 mg par jour pendant 3 mois, avec une surveillance échographique mensuelle. En cas de baisse marquée de la FEVG, il est arrêté ou la posologie diminuée de moitié. Sinon, la posologie est progressivement augmentée, à 10 ou 15 mg, avec une titration tous les trois mois.

Le mavacamten a par ailleurs une longue demi-vie – 2 à 3 semaines sont nécessaires pour son élimination complète – et il est métabolisé au niveau hépatique par le CYP2C19, ce qui a des implications en termes de pharmacodynamie et d’interactions médicamenteuses. De ce fait, le génotypage du CYP2C19 est obligatoire avant initiation et des précautions d’emploi sont nécessaires chez les (rares) patients métaboliseurs lents (2 % environ dans la population européenne).

Enfin, si les études à long terme (deux ans) ne suggèrent pas d’effet délétère, et si des données IRM préliminaires suggèrent un effet favorable sur les anomalies structurelles cardiaques, « on ne connaît pas aujourd’hui l’effet à long terme de ces traitements sur l’évolution de la maladie, en particulier sur le risque d’insuffisance cardiaque ou d’arythmies sévères », souligne le Pr Hagège.

Entretien avec le Pr Albert Hagège, hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP


Source : Le Quotidien du Médecin