« Le monofilament a pris une place excessive dans le dépistage de la neuropathie diabétique. » Par cette affirmation, la Pr Agnès Hartemann (La Pitié-Salpêtrière, AP-HP), souhaite rétablir une vérité : « On a longtemps cru que la neuropathie sensitive affectait les petites fibres et que la neuropathie douloureuse touchait les grosses. Or il existe une atteinte des deux types de fibres dans les deux types de neuropathie. »
Perte ou gain de fonction
La neuropathie périphérique se traduit par deux formes de souffrance nerveuse : d’une part, la perte des fibres entraînant la perte de fonction (neuropathie « sensitive ») et, d’autre part, l’hyperexcitabilité des fibres (neuropathie « douloureuse »), c’est-à-dire un gain de fonction, due à des canaux ioniques dysfonctionnels provoquant une activation spontanée, itérative, intempestive au niveau périphérique, avec un retentissement au niveau des jonctions médullaires.
Dans la neuropathie sensitive, la raréfaction des grosses fibres (> 30 m/s) occasionne une abolition des réflexes ostéotendineux, une moindre perception de la vibration et de la proprioception et une sensibilité réduite au toucher et à la pression, tandis que celle des petites (3-30 m/s pour celles qui sont peu myélinisées et < 3 m/s pour les amyéliniques) conduit plutôt à la diminution de la sensibilité à la douleur, de la perception du chaud et du froid, de la sensibilité à la pression – cette dernière semblant être partagée entre les grosses et les petites fibres. D’où le caractère trompeur de l’utilisation du monofilament de 10 g, qui repère un toucher léger, entre le toucher et la pression, dû surtout à une raréfaction des grosses fibres.
De même, dans la neuropathie douloureuse, le gain de fonction peut concerner aussi bien les grosses fibres (sensation d’étau, allodynie mécanique) que les petites (piqûres, froid douloureux, brûlures, démangeaisons, allodynie thermique, hyperalgésie, décharges électriques) ; ce à quoi s’ajoute une perte de fonction inhibitrice de la douleur au niveau médullaire.
Dans une étude sur 232 patients diabétiques de type 1 et 2, des chercheurs ont trouvé une désafférentation (perte de sensibilité) chez 54 %, des nocicepteurs irritables pour 15 % et les deux chez 31 % (1).
Un diagnostic clinique avant tout
Reconnaître la douleur neuropathique (DN) est crucial et c’est bien la clinique qui prévaut pour diagnostiquer aussi bien une raréfaction qu’une hyperactivité des fibres. Le questionnaire DN4 a été récemment validé de manière spécifique dans la neuropathie diabétique, avec une sensibilité de 83 % et spécificité de 90 % (2).
« L’électromyogramme (EMG) ne constatant qu’une perte de fonction touchant les grosses fibres, il est facile de conclure à l’absence de neuropathie sur cet examen en cas d’atteinte ciblée des petites fibres », prévient la Pr Hartemann. La biopsie cutanée à la cheville, objectivant la raréfaction des petites fibres dans l’épiderme et le derme, reste un moyen de phénotypage réservé à la recherche clinique. La microscopie cornéenne confocale n’est pas encore standardisée à ce jour. En tout état de cause, ces trois examens sont peu contributifs pour le diagnostic positif.
Place des associations
« Faute de traitement pathogénique de la neuropathie diabétique (acide alpha-lipoïque est indiqué dans certains pays mais pas en France, il ne réduit pas la douleur), les traitements sont purement symptomatiques et multimodaux, indique la Pr Nadine Attal (hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt), qui insiste : cela exclut donc les analgésiques conventionnels, qui sont logiquement inefficaces sur la neuropathie diabétique. »
Les traitements d’action centrale d’efficacité établie sont les antidépresseurs (duloxétine ; AMM dans la DN diabétique), et certains antiépileptiques (prégabaline, amitriptyline, clomipramine, avec une AMM dans la DN) et la gabapentine (AMM dans la DN périphérique).
Dans les douleurs focales, les patchs fortement concentrés en capsaïcine (8 %) sont approuvés dans les DN périphériques. Une application en HDJ permet un effet rémanent pendant trois mois. La toxine botulique A en sous-cutané peut également produire un effet rémanent sur les DN diabétiques mais seuls quelques centres (CETD) les pratiquent.
Une nouveauté : l’intérêt de plus en plus démontré des associations thérapeutiques, dont gabapentinoïdes + antidépresseurs qui, à posologie modérée, s’avère aussi efficace que de fortes doses en monothérapie (3).
Des outils de stimulation
La révision de l’algorithme thérapeutique de l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP 2015), attendue fin 2024-début 2025, « intégrera les techniques de neuromodulation dont la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) du cortex moteur, indique la Pr Attal, dont nous avons constaté l’effet bénéfique pendant au moins six mois dans la DN, en particulier diabétique. »
La stimulation médullaire, procédure quant à elle invasive, est pratiquée chez 1 600 à 2 000 patients chaque année en France, et ce, sans aucune complication grave (taux d’infection : 2 %), souligne le Pr Denys Fontaine (CHU de Nice), qui plaide pour un recours plus large à la technique : « La polyneuropathie diabétique est une indication validée par la HAS et remboursée depuis plus de dix ans. Selon les essais randomisés contrôlés, 60 % des patients sont améliorés au long cours de plus de 50 %, que ce soit au regard de l’intensité des douleurs, de l’impact fonctionnel et émotionnel, ou de la qualité de vie. 30 000 à 60 000 personnes diabétiques pourraient en bénéficier. Elles sont à peine une vingtaine aujourd’hui ».
(1) Raputova J et al. Pain. 2017 Dec;158(12):2340-53
(2) Attal N et al. Br J Anaesth. 2023 Jul;131(1):79-92
(3) Tesfaye S et al. Lancet. 2022 Aug 27;400(10353):680-90
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