Il existe un regain d’intérêt marqué pour la nutrition dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Mici), porté par la publication d’études désormais bien conduites, tant sur le déclenchement de la maladie et celui des poussées que sur la phase de rémission. « Jusqu’à il y a environ dix ans, la réponse médicale pouvait se limiter à des régimes stricts, parfois sans résidus, et ce, même hors périodes actives de la maladie, rappelle le Pr Xavier Hébuterne (Nice). De plus en plus, on préconise une approche globale de la prise en charge. »
En matière de prévention, bien loin de parler d’aliments miracles, la littérature est consensuelle : « une alimentation riche en fruits, légumes et acides gras n-3 issus des poissons (1) est associée à un risque moindre de Mici. À l’inverse, une alimentation plus riche en viande rouge, en sucres, notamment raffinés, en boissons sucrées (2), et donc avec une faible consommation de légumes et légumineuses, accroît ce risque », résume le spécialiste.
Méditerranéen et peu transformé
L’attention s’est portée sur l’alimentation méditerranéenne (axée sur la consommation de fruits, de légumes et d’huile d’olive, avec une consommation modérée de viande rouge). Si les résultats en matière de maladies inflammatoires restent limités, des études suédoises et canadiennes ont révélé des associations prometteuses entre ce type d’alimentation et une réduction des risques de Mici.
Par ailleurs, d’après des résultats de la cohorte européenne Epic, diffusés en 2023, la consommation d’aliments non ou peu transformés, surtout de fruits et de légumes, semble associée à̀ un moindre risque de maladie de Crohn (MC), mais pas de rectocolite hémorragique (RCH).
Dans une analyse de trois grandes cohortes prospectives, les schémas alimentaires présentant un potentiel inflammatoire élevé, en premier lieu ceux composés d’aliments ultratransformés (AUT), étaient associés à un risque accru de MC mais, là aussi, pas de RCH (3). Dans une autre étude, menée dans 21 pays en dehors de l’Europe et des États-Unis (cohorte Pure), une consommation plus élevée d’AUT était positivement associée au risque de Mici (4), ce qui est confirmé par une méta-analyse publiée fin 2023 (5). Outre les choix alimentaires, certains additifs alimentaires tels que les maltodextrines, les carraghénanes (extraits d’algues) et la carboxyméthylcellulose sont fortement suspects. Ils sont largement utilisés dans l’industrie alimentaire en tant qu’épaississants ou agents de remplissage (6-7).
Au total, l’Organisation internationale pour l’étude des maladies intestinales inflammatoires (IOIBD) souligne l’importance d’une alimentation riche en légumes, fruits, poissons, tout en évitant les graisses saturées et les additifs (8).
Au cours des dix dernières années, la prévalence des Mici a augmenté de 40 % en France
Epimad, fruit de la coopération des CHU de Lille, Amiens, Rouen et de tous les gastroentérologues du nord de la France, représente le plus vaste registre mondial concernant les Mici. À ce jour, 23 000 patients sont inclus, habitant la Somme, le Nord-Pas-de-Calais et la Seine-Maritime (soit près de 10 % de la population française).
59 % ont des maladies de Crohn (MC), 38 % des rectocolites hémorragiques (RCH) et 3 % des colites indéterminées. « À partir des données couvrant une période de trente ans (1988-2017), nous avons calculé une incidence des Mici de 12,7 nouveaux cas par an pour 100 000 patients-années (7,2 pour la MC, 5,1 pour la RCH), indique Pr Mathurin Fumery, responsable d’Epimad pour le CHU d’Amiens. Les incidences de la MC et de la RCH progressent de 2 % et 1,3 % par an, avec une augmentation chez les enfants et les femmes jeunes, évoquant la possibilité de facteurs environnementaux. »
0,6 % de la population touchée
Les investigateurs estiment qu’en 2030, 0,6 % de la population française sera touchée par une Mici, soit une croissance de 40 % en termes de prévalence. « Cette évolution n’est pas sans conséquence pour les praticiens, poursuit le gastro-entérologue, qui devront prendre en compte le vieillissement de la population, l’utilisation d’immunosuppresseurs dans cette population plus fragile, la polymédication, etc. »
De nombreuses études sont en cours afin d’identifier les facteurs de risque responsables. De nouvelles pistes, telles que l’exposition aux polluants éternels (PFAS), aux microplastiques ou encore aux pesticides sont actuellement explorées par différentes équipes de recherche, dont celles liées à Epimad. Des données préliminaires, issues d’une collaboration avec le centre de pathologie professionnelle du CHU de Grenoble avec le Pr Vincent Bonneterre, suggèrent en effet que certaines populations d’agriculteurs, notamment ceux utilisant le plus de pesticides, auraient un surrisque de Mici. Même si le lien de causalité et les mécanismes restent à déterminer, cela confirmerait ce qui est observé avec les modèles animaux.
Lors des poussées
Chez un individu atteint de Mici, à l’exception de situations particulières telles qu’une sténose intestinale, « la survenue d’une poussée inflammatoire ne trouve pas son origine directe dans l’alimentation, affirme le Pr Hébuterne. En cas de poussée sévère, la prescription d’un régime sans résidu est recommandée, voire des produits laitiers en fonction des symptômes. » Dans certaines situations, une exclusion totale de l’alimentation et le recours à la nutrition artificielle, notamment la nutrition entérale chez les enfants et en cas de complications (sténose, abcès), peuvent aboutir à la rémission de la maladie.
La mise à jour 2023 des recommandations de la Société européenne de nutrition clinique et métabolisme (Espen) stipule que le recours au régime d’exclusion de la maladie de Crohn (Crohn’s Disease Exclusion Diet [CDED]) associé à la nutrition entérale partielle doit être considéré comme une alternative à la nutrition entérale exclusive chez les patients pédiatriques atteints de la maladie de Crohn légère à modérée, pour atteindre la rémission (9). En effet, dans l’essai Paradise, la CDED associé à une nutrition entérale a permis une rémission à 6 semaines dans ce contexte, et engendré des modifications associées à la rémission dans le microbiote fécal (10). Elle s’est montrée tout aussi efficace que la nutrition entérale seule, mais mieux acceptée que celle-ci.
Le régime d’exclusion est une alternative à la nutrition entérale
Pour les patients adultes présentant des formes actives légères à modérées, un régime d’exclusion peut être envisagé, avec ou sans nutrition entérale.
En prévention secondaire
Lorsque la maladie est en rémission, « il n’existe pas de régime spécifique capable de prévenir une poussée, insiste le Pr Hébuterne. Il est recommandé d’adopter une alimentation variée, respectant les équilibres nutritionnels et suffisamment riche en énergie et en protéines. La consommation de fruits et de légumes est conseillée pour couvrir les besoins en vitamines, micronutriments et antioxydants. » La recherche systématique de carences en vitamines B9, B12, D, et en fer, voire en zinc chez les malades présentant une diarrhée importante, semble justifiée au cours des Mici.
En janvier 2024, l’American Gastroenterological Association recommandait l’alimentation méditerranéenne chez les patients atteints de Mici (11).
Concernant les probiotiques, l’Espen ne les recommande dans le traitement de la MC et de la RCH, que ce soit en phase active ou en maintien de la rémission. « Certains, comme le VSL3, ont démontré leur utilité dans la RCH et la pochite pendant les poussées, indique le Pr Hébuterne, ainsi qu’en prévention des récidives. Ils peuvent être envisagés en cas d’échec ou d’intolérance aux 5-ASA. »
(1) Ananthakrishnan et al. Dig Dis Sci. 2015 Feb;60(2):290-8
(2) Fu T el al. Aliment Pharmacol Ther. 2022;56:1018-29
(3) Lo CH et al. Gastroenterology. 2020 Sep;159(3):873-883.e1
(4) Narula N et al. BMJ. 2021 Jul 14;374:n1554
(5) Narula N et al. Clin Gastroenterol Hepatol. 2023 Sep;21(10):2483-2495.e1
(6) Chassaing B et al .Nature. 2015 Mar 5;519(7541):92-6
(7) Chassaing B et al. Gastroenterology 2022;162(3):743-56
(8) Levine A et al. Clin Gastroenterol Hepatol. 2020 May;18(6):1381-92
(9) Bischoff SC et al. Clin Nutr 2023;42(3):352-79
(10) Levine A et al. Gastroenterology. 2019 Aug;157(2):440-450.e8
(11) Hashash JG et al. Gastroenterology. 2024 Mar;166(3):521-32
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