Hépatite D : une avancée méconnue

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Publié le 17/03/2023
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Le bulévirtide est le premier traitement spécifique de l’hépatite chronique Delta, assez récemment disponible en France. S’il comble un vide que seul l’interféron alpha pégylé occupait de manière insatisfaisante (efficacité très modeste et problème de tolérance), peut-on néanmoins parler de médicament miracle ?
Tout patient ayant une hépatite B doit impérativement être testé pour le virus de l'hépatite D

Tout patient ayant une hépatite B doit impérativement être testé pour le virus de l'hépatite D
Crédit photo : Voisin/phanie

L’hépatite B-Delta est l’une des formes les plus sévères d’hépatite virale. L’infection par le virus de l’hépatite D ou Delta (VHD) est possible uniquement en cas de co-infection ou surinfection par le virus de l’hépatite B (VHB). Sans cela, le virus incomplet qu’est le VHD est incapable par lui-même de pénétrer dans l’hépatocyte et donc de se répliquer. « C’est pourquoi le test réflexe (reflex testing) est primordial, insiste le Pr Victor de Lédinghen (CHU de Bordeaux). Tout patient ayant une hépatite B doit impérativement être testé pour le VHD. Une étude parue en 2022 a montré que ce test réflexe VHD multipliait par cinq le nombre de cas de VHB diagnostiqués avec l’hépatite D (1). Les facteurs de risque étaient inconnus dans 60 % des cas positifs aux anticorps anti-VHD ».

Une prise en charge difficile

En cas de surinfection, 70 à 90 % des personnes développeront une hépatite chronique. Jusqu’alors, traiter l’hépatite D chronique était difficile. L’éradication virale était obtenue dans moins de 25 % des cas, grâce à l’interféron alpha pégylé (PEG-IFNα), seul médicament antiviral ciblant le virus Delta (hors AMM). Mais celui-ci était mal toléré (syndrome pseudo-grippal, dépression…), surtout avec l’avancée en âge et en cas de fibrose avancée. De plus, ses contre-indications sont nombreuses : hépatites auto-immunes, traitement par immunosuppresseurs, pathologies psychiatriques ou thyroïdiennes, insuffisance rénale sévère et cirrhose décompensée.

Un premier traitement spécifique

Alors que le bulévirtide n’est toujours pas approuvé aux États-Unis, la Haute Autorité de santé a donné un avis favorable à son remboursement fin 2020. Il est ainsi indiqué dans le traitement de l’infection chronique par le VHD, chez les adultes ayant une maladie hépatique compensée testés positifs pour la présence d’ARN du VHD dans le plasma (ou le sérum). Dans cette situation, il doit être associé à un traitement de fond contre le VHB (entécavir et ténofovir), en raison du risque de réactivation du VHB. Le bulévirtide est prescrit en cas d’échec, d’intolérance ou de contre-indication au PEG IFNα. Son mode d’action est le blocage de l’entrée du VHB et du VHD dans les hépatocytes, en se liant et en inactivant le récepteur NTCP, un transporteur hépatique de sels biliaires. « Le bulévirtide peut être prescrit à tous les patients ayant une hépatite D documentée, sans restriction (2 mg en injection sous-cutanée quotidienne), ajoute le Pr de Lédinghen. Sa prescription est uniquement hospitalière, réservée aux spécialistes en gastroentérologie et hépatologie, en médecine interne ou en infectiologie. Entre septembre 2019 et septembre 2020, nous avons eu la chance de pouvoir le prescrire en accès précoce. Nous avons ainsi traité en vie réelle 150 patients en France, ce qui fait de notre cohorte ATU la plus importante au monde, sujet de nombreuses publications ».

Plusieurs questions restent en suspens, concernant l’identification de facteurs prédictifs de réponse ainsi que la durée optimale du traitement. En 2022, une étude a montré qu’un arrêt après 48 semaines s’accompagnait très fréquemment d’une rechute (2). Les auteurs ont constaté que les concentrations d’ARN du virus de l’hépatite D repartaient à la hausse après l’arrêt du bulévirtide. « La recommandation est donc de traiter les patients aussi longtemps que possible, signale le Pr de Lédinghen. Au bout d’un an de traitement, 60 % des patients ont une charge virale soit indétectable, soit réduite de plus de 2 log. Cela reste insuffisant à long terme, mais pourrait cependant permettre de ralentir la progression de la maladie. Cette donnée reste à démontrer avec plus de recul ».

Des pistes d’avenir ?

D’autres médicaments sont attendus pour traiter l’hépatite Delta, en l’occurrence l’interféron lambda et le lonafarnib. Ce dernier est une molécule empêchant la prénylation de l’antigène de l’hépatite Delta AgHD-L, c’est-à-dire la multiplication du virus en intrahépatique. À ce stade, quelques patients en échec du bulévirtide en bénéficient en accès précoce.

(1) Palom A et al. JHEP Reports 2022
(2) Wedemeyer H et al. Lancet Infect Dis. 2023 Jan;23(1):117-29
(3) Roulot D et al. J. Hepatol. 2020;73:1046–62

Hélène Joubert

Source : Le Quotidien du médecin