Des résultats encourageants

L’immunothérapie orale spécifique dans les allergies alimentaires

Publié le 07/02/2012
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Crédit photo : S Toubon

Qualité de vie

L’éviction définitive après diagnostic allergologique, prôné jusqu’alors n’a plus lieu d’être. Elle ne doit correspondre qu’à une période limitée, au-delà de laquelle il convient de substituer une immunothérapie orale spécifique aux allergènes alimentaires en cause. Cette méthode permet d’améliorer la qualité de vie de l’allergique et ouvre pour certains allergènes une perspective de tolérance ou même de guérison.

Tolérance digestive

Tolérance digestive physiologique aux protéines alimentaires.

Stérile à la naissance, la muqueuse digestive est ensuite colonisée par la flore bactérienne physiologique. La tolérance naturelle, de cette muqueuse, aux aliments repose sur de nombreux mécanismes immunologiques dont les trois plus connus sont :

1. la fabrication d’ IgA sécrétoires dimériques exerçant un rôle d’exclusion vis-à-vis des bactéries mais aussi des allergènes alimentaires ;

2. l’induction de lymphocytes T régulateurs qui entraîne une anergie, c’est-à-dire une « absence de réponse » immunitaire ou de sensibilisation lors de l’arrivée des peptides alimentaires dans la muqueuse intestinale. Ce mécanisme semble être le principal facteur de tolérance physiologique ;

3. la production d’IgG 4 spécifique joue également un rôle dans le système de tolérance aux protéines alimentaires au niveau du tube digestif. Ces immunoglobulines « entrent en compétition » avec les IgE spécifiques lors d’un contact allergénique se fixant ainsi sur les antigènes et les détournent de la liaison des allergènes aux IgE spécifiques.

Il existe certainement encore d’autres mécanismes immunologiques à explorer.

Une solution plus adaptée

L’immunothérapie spécifique orale : une solution plus adaptée.

Actuellement, on estime que 4 à 8 % des enfants et 3 % des adultes sont atteints d’allergie alimentaire. Le diagnostic repose sur la preuve d’une sensibilisation à l’aliment suspecté, par des tests cutanés concordant avec la clinique, et/ou le dosage des IgE spécifiques. En l’absence d’évidence, le test de provocation orale est préconisé. Il a plusieurs buts : le diagnostic, l’évaluation du seuil de réactivité à partir duquel les symptômes cliniques réapparaissent, la preuve d’une guérison clinique.

Jusqu’à il y a quelques années, le diagnostic d’allergie alimentaire était suivi de l’éviction totale et définitive de l’allergène concerné. Or, des études randomisées effectuées ces dernières années tendent à prouver que l’éviction définitive très contraignante au quotidien peut entraîner des carences nutritionnelles et surtout un risque avéré de symptômes plus « sévères » en cas de réintroduction accidentelle.

Par exemple, cette étude rassemblant deux populations d’enfants présentant une allergie alimentaire identique, l’une respectant une éviction stricte de l’allergène (groupe 1), l’autre étant sous un protocole de tolérance alimentaire à l’allergène concerné (groupe 2). Le diagnostic est apporté par les tests cutanés, le dosage des IgE spécifiques et un test de provocation orale pour chaque groupe afin d’évaluer le seuil de réactivité. Après six mois de surveillance pour ces deux populations, le pourcentage de guérison était plus important dans le groupe ayant suivi une tolérance alimentaire (groupe 2). Cette étude donne aussi des résultats beaucoup plus inattendus : pour le groupe 2 (tolérance alimentaire par ITO), après six mois, les tests cutanés et les IgE spécifiques à l’allergène concerné sont identiques à leur taux initial contrairement au groupe 1 (éviction totale) où les diamètres des tests cutanés et le taux d’IgE spécifiques ont nettement augmenté. Le test de provocation orale après six mois montre que le seuil de réactivité à l’allergène est plus bas que le seuil initial dans le groupe éviction totale (groupe 1) avec apparition d’une réaction clinique plus sévère. L’éviction totale est donc préjudiciable et l’hypothèse que l’absence d’absorption quotidienne d’allergène s’oppose à l’institution d’une tolérance est soutenue par ces faits. De plus, un ensemble croissant de travaux depuis les années 2005-2006, confirme l’intérêt de protocoles de réintroduction progressive visant le rétablissement d’une tolérance alimentaire dès que possible. Le terme d’immunothérapie orale spécifique (ITO) est désormais préféré à celui de protocole de tolérance. Des études américaines ont montré qu’avec l’ITO la prise quotidienne de l’allergène alimentaire concerné entraîne une augmentation au départ des IgE spécifiques avec ensuite diminution de ce taux puis apparition d’IgG 4 et développement d’une activité T régulatrice au moins dans les premiers mois de cette immunothérapie. Mais comme le fait remarquer le Pr Moneret Vautrin « des inconnues persistent. Il n’est pas certain que les mécanismes de tolérance induite par l’ITO soient identiques en tout point à ceux de la tolérance naturelle ».

Principe de l’ITO

Le test de provocation orale évaluant le seuil de réactivité clinique ainsi que l’induction de l’ITO se pratique en milieu hospitalier ayant la pratique de l’étude et du suivi des allergies alimentaires. La prise quotidienne de l’allergène est ensuite continuée à domicile sous certaines conditions. Des recommandations sont à respecter en particulier pour l’arachide, selon l’équipe de Burks :

- stopper la prise d’arachide en cas d’hyperthermie ou d’infection intercurrente des voies aériennes ou de gastro-entérite ;

- en cas d’interruption temporaire de l’arachide comprise entre 3 et 5 jours, reprendre la dose à l’hôpital. Au-delà de ce délai, reprendre l’immunothérapie orale au départ ou à la dose beaucoup plus faible (toujours après avis de l’allergologue) ;

- contrôler régulièrement le débit expiratoire et les épreuves fonctionnelles respiratoires en cas d’asthme associé{;

- contrôler au mieux la rhinite et l’asthme (ne pas hésiter à prescrire à traitement de fond) ;

- prendre la dose au cours du goûter ou du repas et ne pas pratiquer d’effort dans les deux heures qui suivent.

- être particulièrement vigilant en période menstruelle chez les filles.

Le Pr Moneret-Vautrin recommande un délai de trois heures entre l’effort et l’ingestion d’arachide qui se déroule normalement sous contrôle parental au goûter ou au début du repas du soir. L’arachide est alors mélangée à un yaourt, une compote, un entremet ou une purée de légumes.

Accoutumance et tolérance

La première phase de progression des quantités allergéniques ingérées lors de l’ITO crée une accoutumance permettant d’augmenter le seuil de réactivité clinique à partir duquel les symptômes apparaissent. À la fin de cette phase, toutes les évictions peuvent être levées, si bien que les enfants peuvent fréquenter librement la cantine scolaire.

La phase suivante, guérison définitive, est obtenue plus facilement avec l’œuf et le lait qui passent couramment dans l’alimentation

Le cas de l’arachide se révèle plus difficile. Les études américaines ont montré en effet que, si l’on interrompt les doses quotidiennes, et que l’on pratique un test de provocation orale après quelques mois, on observe dans certains cas une réaction montrant que la guérison n’est pas obtenue. Par mesure de précaution, ce test après arrêt des doses quotidiennes n’a été pratiqué que si le taux de 5 kU/l d’IgE spécifiques de l’arachide est atteint. Or les taux sont moins élevés chez les enfants aux États-Unis qu’en France. C’est pourquoi il y a encore peu d’expérience en France de ces arrêts de doses quotidiennes et du test assurant la guérison. Le Pr Moneret-Vautrin a pu actuellement assurer la guérison dans trois cas.

Des questions persistent

Ces protocoles d’ITO adaptés à chaque allergène représentent une avancée thérapeutique non négligeable dans la prise en charge des allergies alimentaires.

Pour l’instant, seuls quelques aliments sont concernés mais les études tendent à s’étendre à d’autres allergènes. Après l’arrêt de l’ITO, peut-on parler de guérison, celle-ci est-elle définitive, alors que même persiste une sensibilisation ? Il convient de rester prudent, d’avertir les patients des facteurs favorisant la récidive comme les gastro-entérite, et surtout, l’exercice intensif couplé à l’ingestion.

Bibliographie :

- Immunothérapie sublinguale et orale de l’allergie alimentaire : effets cliniques et signification des modifications immunologiques, D-A Moneret-Vautrin, Revue Française d’Allergologie, 2011, 51, 286-294.

- Immunothérapie orale et allergie alimentaire, M. Morisset, Rev Fr Allergol, 2011, 51, 295-300.

-Efficacité, sécurité, de protocoles de tolérance orale à l’arachide, Immunothérapie orale et allergie alimentaire, D-A Moneret-Vautrin, N Parisot, Morisset M, Beaudouin E, Bouillot F et Halle : Rev Fr Allergol, 2010, 50, 434-42

-Desensitization in children with milk and egg allergies obtains recovery in a significant proportion of cases. A randomized study in 60 children with milk allergy and 90 children with egg allergy. Morisset M, Moneret DA, Guenard L, Cunny JM, Frentz P, Hatahet R et aL , Eur. Ann. Allergy. Clin. immunol 2007; 39 : 12-19

 Dr CATHERINE QUEQUET Allergologue. Amiens D’après un entretien avec le Pr D-A Moneret-VAutrin, service d’allergologie, CH Jean-Monnet, 88 000 Épinal.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9079