Les antirétroviraux actuels sont efficaces contre le VIH, et la majorité des patients traités présentent une charge virale indétectable et une espérance de vie proche de celle des personnes non infectées. Cependant, ces médicaments ne permettent pas la rémission. Par ailleurs, alors qu’une prophylaxie pré-exposition (PrEP) est disponible, 1,3 million de nouvelles infections ont été enregistrées dans le monde en 2022, appelant des moyens de prévention supplémentaires.
Un nouveau type de traitements pourrait répondre à ces deux enjeux : les anticorps neutralisants anti-VIH à large spectre (ou bNAbs). Ciblant des épitopes de l'enveloppe virale conservés entre plusieurs souches du VIH, ces immunoglobulines sont capables de reconnaître et neutraliser des isolats viraux variés mais aussi des cellules infectées (exprimant à leur surface des antigènes viraux).
D’où un intérêt en prévention, afin de proposer une immunisation passive efficace vis-à-vis d'un large panel de virus mais aussi chez des individus déjà contaminés, afin de faciliter l’élimination des particules virales (via la formation de complexes immuns) et des cellules infectées (au moyen du recrutement de cellules NK).
Ces molécules apparaissent d’autant plus intéressantes que les anticorps présentent en général une demi-vie longue, peu d’effets indésirables, etc.
Suppression virale
De premières preuves d’efficacité se dégagent. En curatif, l’activité antivirale a été montrée chez l’être humain par Caskey et al. dès 2015, une perfusion unique d’anticorps 3BNC117 ayant induit une baisse transitoire de la virémie d’ampleur comparable à celle associée à des antirétroviraux classiques.
Des études d’interruption de traitement (administration de bNAbs et arrêt des antirétroviraux) ont ensuite montré la capacité d’anticorps tels que VRC01 ou 3BNC117 à maintenir la suppression de la charge virale de façon plus ou moins durable.
En préventif, les essais AMP (pour Antibody Mediated Prevention) conduits sur plus de 4 500 participants ont fourni en 2021 et 2022 une preuve de concept de l’intérêt de l’administration de bNAbs – de faibles doses de l’anticorps VRC01 perfusées tous les deux mois s’étant soldées par une efficacité préventive de 75 % contre des virus sensibles. À noter aussi, dans la lignée de ces essais, la détermination par Gilbert et al. d’un indicateur de l’efficacité préventive des anticorps, la PT80, et d’une valeur seuil à atteindre.
Des avancées en butte, toutefois, au problème des résistances. En curatif, des rebonds précoces ont en effet été observés dès 2016 et attribués à la résistance préexistante de certaines souches virales. En préventif, le problème a été suggéré par les essais AMP, dans lesquels l’anticorps VRC01 ne s’est avéré capable de neutraliser que certains virus relativement anciens.
Vers des combinaisons d'anticorps ?
D’où l’idée de s’assurer de la sensibilité du virus avant administration, notamment en curatif. Si un premier test, baptisé PhenoSense, a été validé et est utilisé en recherche, ce dispositif n’a pas encore permis de prédire réellement le délai avant un éventuel rebond viral (time-to-rebound), en lien avec la diversité importante du réservoir viral chez chaque patient.
Mais surtout, reste à améliorer les bNAbs eux-mêmes – à élargir davantage leur spectre ou encore augmenter leur puissance neutralisante. À l’heure actuelle, plus de sept classes de bNAbs ciblant divers épitopes du VIH sont à l'étude, et des anticorps multispécifiques (notamment trispécifiques, capables d’interagir avec trois épitopes indépendants) sont en développement.
Autre possibilité : combiner les anticorps. Une approche qui a déjà permis de marquer quelques points. Ainsi, en 2022, en curatif, plusieurs administrations de combinaisons de bNAbs comme 3BNC117 et 10-1074 ont abouti à une suppression de la charge virale durable – de 6 mois chez 71 à 83 % des patients recrutés. De même, en prévention, ces deux anticorps en combinaison se sont révélés couvrir un spectre plus large que séparément.
Des stratégies thérapeutiques associant ces anticorps à d’autres approches sont aussi à l’étude en curatif, à l’instar du couplage des bNAbs à de l’immunothérapie. En 2023, Peluso et al. ont décrit une stratégie prévoyant l’administration d’un vaccin à ADN MVA (censé booster l’immunité cellulaire), d’un agent de réversion de latence (forçant les cellules infectées latentes à se manifester au système immunitaire) et d’une combinaison de bNAbs.
Est aussi évalué l’intérêt d’introduire les bNAbs dès l’initiation des antirétroviraux – afin d’éviter la constitution du réservoir et favoriser la formation de complexes immuns avec les particules virales encore libres. De premiers signaux positifs ont été dégagés dans l’étude danoise eCLEAR (2022), avec une clairance accrue des cellules infectées par le VIH, un déclin accéléré de la charge virale, une meilleure réponse des cellules T CD8+, et finalement un rebond viral moindre.
Une approche de vaccination thérapeutique basée sur les anticorps est aussi évoquée, le but étant de renforcer la réponse humorale autologue des patients déjà traités par antirétroviraux.
À noter qu’en prévention, l’administration de bNAbs n’est pas la seule piste : des candidats vaccins susceptibles de provoquer in vivo la production de bNAbs et ainsi une immunisation active font aussi l’objet d’essais cliniques.
L’ère des traitement de longue durée d’action ?
A l'instar des bNAbs qui pourrait permettre d'espacer les prises médicamenteuses, plusieurs autres traitements de longue durée d'action sont dans les pipelines. Concernant la voie injectable, des antirétroviraux administrables à un rythme annuel sont en phase pré-clinique. Concernant la voie orale, l’islatravir est testé seul ou en association avec le lénacapavir en administration per os hebdomadaire, des résultats d’essais cliniques étant attendus pour la fin de l’année. S’ajoutent des dispositifs visant à assurer une libération prolongée des médicaments, comme des anneaux vaginaux, des pompes, ou encore des implants – des études en cours portant par exemple sur des implants d’islatravir sous-cutanés résorbables, ou rechargeables en titane.
Quelques difficultés freinent toutefois l’arrivée de ces candidats. Outre de mauvaises surprises – comme les effets indésirables centraux de l’ulonivirine ayant mené à un abandon de la molécule en phase 2 –, se posent des questions liées à la gestion de grands volumes d’injection, des effets indésirables, ou encore des oublis de traitement.
Toutefois, plusieurs traitements de ce type ont déjà été approuvés comme l’association cabotegravir-rilpivirine à longue durée d’action ( une injection IM tous les 4 à 8 semaines), le lenacapavir (une injection sous-cutanée tous les 6 mois en combinaison à d’autres médicaments chez des patients déjà traités et ayant développé des résistances à certaines molécules), ou, en prévention, l’anneau vaginal à la dapivirine.
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