NON PAS 40, mais bientôt 30 ans : la première publication dans le MMWR (Morbidity and Mortality Weekly report) du CDC (Center for Diseases Control) décrivant 5 cas de pneumocystose chez des patients homosexuels sans déficit immunitaire connu date du 5 juin 1981. Dans les mois qui suivent d’autres cas sont notifiés, la majorité chez des homosexuels masculins, mais aussi chez des usagers de drogues par voie intraveineuse. Début 1982, des cas sont observés chez des hémophiles ayant reçu des transfusions sanguines. « Assez rapidement, les facteurs de risque sont reconnus : un nombre important de partenaires chez les homosexuels, et la voie intraveineuse pour les autres, une épidémiologie qui se rapproche de celle de l’hépatite B », observe Willy Rozenbaum. Les recherches étiologiques s’orientent ainsi vers un virus. « Première hypothèse évoquée, celle du cytomégalovirus, dont les propriétés immunodépressives sont connues. Celle d’un rétrovirus est avancée mi -1982 par un membre du CDC, Donald Francis. »
La France en première ligne.
À l’initiative de Willy Rozenbaum, un groupe de travail sur le sida, composé de cliniciens, d’épidémiologistes, d’immunologistes, mais aussi de représentants d’associations de médecins gays, est créé dès 1982 avec pour objectif de colliger les cas et de mener des études épidémiologiques. Une approche multidisciplinaire très avant-gardiste qui contribuera aux succès de la recherche française sur le sida.
En septembre, Willy Rozenbaum donne une conférence à l’Institut Pasteur sur la maladie qui a déjà été dénommée « syndrome d’immunodéficience acquise », signant la naissance de l’acronyme SIDA, qui restera le nom commun de l’infection pour le grand public. L’objectif de cette conférence était de porter à la connaissance des chercheurs du célèbre institut cette nouvelle affection dont l’agent reste mystérieux, mais aussi de trouver une équipe susceptible de mener les recherches virologiques. « Effectivement, nous avons trouvé à Pasteur une équipe, discrète, qui travaillait sur les rétrovirus », rappelle Willy Rozenbaum. En janvier 1983, celui-ci adresse à l’équipe du Pr Montagnier, les prélèvements ganglionnaires d’un des patients qu’il suit. C’est ainsi que Françoise Barré-Sinoussi isole un rétrovirus, qui sera appelé « Lymphadenopathy Associated Virus » ou LAV. Le 20 mai 1983, la première description est publiée dans la revue « Science ». « Mais personne n’y croit. Il faudra attendre que les Américains refassent la même découverte en 1984 pour que la responsabilité de ce virus dans le développement du SIDA devienne crédible*. On a perdu un an », déplore Willy Rozenbaum.
L’AZT fin 1986, les « trithérapies » dix ans plus tard.
Dès l’identification du virus, les premiers tests sont mis au point par Pasteur et la recherche thérapeutique commence. Elle est marquée par un premier succès fin 1986 : une étude sur l’AZT, un inhibiteur de la transcriptase inverse virale, montre une diminution très significative de la mortalité et des complications liées à l’infection. Le premier traitement antiviral mis au point est disponible en France début 1987 pour les patients les plus gravement atteints. Néanmoins, une certaine déception pointe dès 1989. L’effet du médicament est réel, mais transitoire, les patients rechutent après un an de traitement en moyenne. En 1992, la sélection de mutants résistants à l’AZT est mise en évidence, la mutation diminuant la sensibilité du virus à l’AZT. À cette même période, de nouveaux antirétroviraux de la même famille sont découverts, ils peuvent être substitués à l’AZT ou lui être associés. La combinaison de deux molécules se révèle rapidement plus efficace que la monothérapie.
Il faudra attendre 1995-1996 pour voir l’apparition de nouvelles classes thérapeutiques, beaucoup plus puissantes : les antiprotéases et les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse. L’association de ces nouvelles molécules aux « anciennes » donne des résultats prolongés. C’est l’avènement des mal-nommées trithérapies, « en effet ce n’est pas le nombre de médicaments, mais bien le concept de puissance qui s’impose », précise Willy Rozenbaum.
À partir de 2002-2003, nouvelle déception : le virus est, certes, bien contrôlé chez une majorité de patients, mais ceux-ci souffrent de troubles métaboliques, la fameuse lipoatrophie, aux conséquences esthétiques et psychologiques très lourdes, qui est aussi responsable de complications cardio-vasculaires.
De nouveaux progrès vont intervenir peu après avec l’apparition de nouvelles molécules beaucoup mieux tolérées, notamment sur le plan métabolique, de nouvelles classes thérapeutiques, inhibiteurs de fusion, inhibiteurs de CCR5, inhibiteur d’intégrase…, qui élargissent l’arsenal thérapeutique pour les patients en échec ou en rechute. « Autre avancée majeure : la simplification des traitements avec moins de comprimés et moins de prises », souligne Willy Rozenbaum.
Dépistage généralisé : un tournant récent.
Dernière étape : depuis 3-4 ans, le regard sur la maladie a changé et les grands principes de la lutte contre le sida ont été mis en cause, notamment la stratégie de dépistage. Il est aujourd’hui indispensable de sortir du cadre du dépistage ciblé, focalisé sur les sujets considérés comme à risque, et de le proposer à tous, au moins une fois à l’occasion d’un bilan de santé. Il faut en effet relever deux défis : celui des sujets qui ignorent leur séropositivité - un tiers des personnes contaminées - et qui continuent de propager le virus sans le savoir et celui du retard au diagnostic, retard qui grève le pronostic des patients. C’est en dépistant et traitant les patients VIH + que l’on parviendra à contrôler l’épidémie, note Willy Rozenbaum.
*L’équipe de Gallo, qui a reçu de l’institut Pasteur des échantillons de l’isolat français, annonce avoir découvert le virus du sida rebaptisé HTLV-III. Une longue bataille scientifique et juridique s’en suivra, mais dès 1985 il sera établi que le LAV et l’HTLV-III sont un seul et même virus provenant d’une unique souche, celle prélevée par W. Rozenbaum.
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