Amélioration des soins ?
Commençons par ce que qui est le plus manifeste, les extraordinaires progrès de la connaissance neuroscientifique et leurs retombés thérapeutiques : de nouveaux antidépresseurs qui ont optimisé le rapport efficacité/tolérance, les antipsychotiques atypiques mieux tolérés et plus efficaces sur la symptomatologie schizophrénique négative que les neuroleptiques, mais aussi la découverte de nouvelles techniques de psychothérapie (pas uniquement le très médiatique mindfulness cognitive psychotherapy ») ou les nouvelles stratégies de réhabilitation. Sans parler des très prometteuses techniques de neurostimulation profonde, actuellement purement expérimentales, mais prometteuses pour les pathologies mentales très résistantes. Autre évolution marquante de l’offre de soins, le passage d’une psychiatrie générale à l’hyperspécialisation. La psychiatrie est, certes, plurielle par ses modes d’exercice, ses techniques de soins, ses références théoriques, les patientèles qu’elle recrute, les caractéristiques sociodémographiques de ses patients (enfants, adolescents, adultes, sujets âgés,…), les lieux où elle s’exerce (CHU, CHG, CHS, SMPR, cliniques, cabinets , CMP, …), la nature de ses interventions (urgence, hospitalisation temps plein ou de jour, postcure…) mais aussi, et surtout, par les pathologies qu’elle traite. On a donc vu émerger, au-delà des spécialisations traditionnelles (psychiatrie infanto juvénile) des orientations préférentielles (addictologie, psychogériatrie, psychiatrie médico-judiciaire). De même, parallèlement aux « secteurs », ont vu le jour des structures pour les exclus, les toxicomanes, les victimes de psycho-traumatismes. Cette sur-spécialisation était le fait des contraintes de lieu - la psychiatrie de liaison ne saurait s’exercer qu’auprès de patients ayant des pathologie organiques - mais aussi d’organisation et de formation des personnels. Cette évolution devrait s’accentuer car les connaissances nécessaires à l’optimisation des prises en charge thérapeutiques connaissent une croissance exponentielle.
Désinstitutionalisation.
Avec la remise en question « soixantuitarde » de la psychiatrie, notamment par l’antipsychiatrie, il fut décidé de faire tomber les murs de l’asile ! La Loi de sectorisation, votée au début des années soixante, s’attacha à promouvoir une psychiatrie ouverte sur le monde. Le développement de structures alternatives permit de resocialiser de nombreux patients. Avec ce mouvement de désinstitutionalisation, une proportion importante de lits de psychiatrie fut fermée ; peut être trop, suggèrent certains, qui constatent les difficultés que nous rencontrons désormais pour « trouver un lit » afin de faire hospitaliser un mélancolique suicidaire ou un schizophrène très délirant. Pour s’adapter, et « libérer des places », les psychiatres ont diminué la durée moyenne de séjour jusqu’à « faire sortir » des patients trop tôt, au risque de les voir revenir très vite, devenir des « revolving door patients » et de se voir reprocher des « externalisations abusives » ! D’autant que l’extra-hospitalier n’était pas toujours suffisant pour assurer le relais, les directions hospitalières ayant rechigné à redéployer les moyens nécessaires. De fait, ce transfert budgétaire s’est fait avec une importante déperdition. Il y a donc eu une incontestable paupérisation de la psychiatrie publique.
Démographie déclinante.
Le nombre des psychiatres n’a fait que croître jusqu’à nos jours et même s’il va commencer à baisser, on pourrait penser que ce n’est pas catastrophique puisqu’il devrait revenir, en 2020, à ce qu’il était à la fin du siècle dernier, période où personne ne semblait penser qu’ils n’étaient pas assez nombreux ! En fait, comme pour les autres disciplines médicales, c’est plus la répartition sur le territoire français qui pose problème. Il y a plus de psychiatres dans de prestigieuses rues de Paris que dans certains département ruraux.
Evaluation et recommandations.
Comme tous les médecins, les psychiatres ont assisté à la prolifération des nobles institutions qui nous conseillent, nos évaluent, nous font des recommandations. Si les Français n’ont pas la même culture de l’évaluation que les Anglo-saxons, celle-ci s’est néanmoins imposée à la psychiatrie, comme aux autres disciplines médicales. Cette évolution n’a pas été nécessairement très paisible ; il suffit, pour s’en convaincre, d’évoquer la polémique qui suivit l’expertise collective de l’INSERM, à propos de l’évaluation des psychothérapies. Nous nous souvenons tous de l’objection du caractère « non évaluable de la souffrance psychique » revendiquée par certains psychanalystes et d’un ministre de la République désavouant publiquement son Institut National de Recherche, ce qui alimenta la presse internationale de considérations goguenardes sur les archaïsmes de notre pays !
Soins sous contrainte (Réforme de la Loi de 1990).
La Loi sur l’internement, votée en 1990 en remplacement de celle de 1838, est en cours de révision. Avec l’ambiance sécuritaire actuelle, la profession s’inquiète de ce qu’elle soit contraire à l’esprit qui l’anime depuis que Pinel libéra les aliénés de leurs chaines, pendant la Révolution française. Certaines dispositions ne sont qu’une réponse électoraliste à des faits divers dramatiques mettant en cause des malades mentaux. Evènements pourtant anecdotiques au regard du nombre de patients souffrant de schizophrénie (300 000 à 400 000 ou de trouble bipolaire (400 000 à 500 000) en France. Rappelons, à ce propos les faits attestés par l’épidémiologie : les patients souffrant de troubles psychiatriques sont cinquante fois plus victimes de crime ou délits qu’ils n’en sont les auteurs ! Un des slogans de 1968 était : « non à la fliciatrie » ; or, il semble que cette discipline née des idées du siècle des lumières soit invitée par le législateur à redevenir carcérale. Faut-il donc refaire la Révolution ?
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