Un habitant sur cinq à Rio vit dans les favélas. La maladie, l’accident, la vieillesse ne sonnent pas comme une fatalité : le SUS offre un filet de sécurité. À condition de n’être ni trop pressé, ni trop exigeant.
Les broches métalliques transpercent son mollet. Sandro, balayeur de rue, a été renversé par une voiture en avril. Fracture ouverte. « Les pompiers m’ont amené à l’hôpital public. Je n’ai rien payé, et les médecins ont été bons ». Il montre sa jambe. « Regardez mon tatouage, ils ne l’ont pas abîmé! ».
Le jeune homme, béquilles sous le bras, reprend sa marche prudente dans les ruelles pentues de la favéla. Deux mille personnes vivent là, des artisans, des petits fonctionnaires. Les maisons s’agrippent à flanc de colline. Rien à voir avec le confort bobo du quartier voisin, Santa Teresa, repaire des artistes et des intellectuels. Cette favéla, mieux lotie que d’autres, n’a pourtant rien d’un endroit de misère. Il y a l’eau, l’électricité. Des paraboles sur les toits. Une vue de milliardaire sur la baie en contrebas. Mais il n’y a pas de médecin.
Tom, un Anglais basé ici, ne savait rien du système de santé brésilien jusqu’à cette mauvaise chute qui l’a conduit aux urgences. La mésaventure ne lui a pas coûté un réal, mais la prise en charge lui a paru désordonnée. « C’est très différent du NHS [le National health service britannique], commente-t-il, la jambe encore plâtrée. J’ai beaucoup attendu, livré à moi-même. Les médecins couraient. Une fois sorti, j’ai eu des complications. Personne n’a assuré le suivi ».
Des agents de santé font de la prévention de maison en maison
Créer du lien avec les médecins du « monde normal », développer la prévention : c’est justement le rôle de Manuel, agent de santé. Ce jeune homme vit au cœur de la favéla. Il s’occupe de 250 familles, qu’il visite régulièrement, et qu’il aiguille vers un centre de santé en cas de maladie chronique. « J’ai identifié les personnes à risques, les vieux, les femmes enceintes. Beaucoup de gens ici ont peur des médicaments, je les pousse à les prendre. J’insiste sur l’importance des vaccins, l’hygiène ».
La plupart des favélas de Rio sont quadrillées par des agents de santé communautaires. Manuel n’a pas le bac. Il gagne 1 150 réals par mois (380 euros), et se sent utile - sauf sur le terrain de la drogue, qu’il a déserté sous la pression des narcotrafiquants. Le gang Comando Vermelho a apposé ses initiales à l’entrée de la favéla, et le bitume, par endroits, est jonché de films plastiques ayant contenu des doses de cocaïne. Ce bémol mis à part, Manuel est satisfait de l’accès aux soins : « Il n’y a pas de laissés pour compte ici ».
Kelly, élue porte-parole de la favéla, est plus nuancée. « Nos politiques ne s’occupent pas de la santé. L’argent va à la police ». C’est elle qui appelle la municipalité quand une maison est envahie par les rats. Malgré ses relations, Kelly n’a pas trouvé de médecin prêt à opérer son fils d’une tumeur bénigne au visage. « Il attend depuis un an. Ça le complexe », se désole-t-elle.
Petit à petit, les services publics réinvestissent les quartiers pauvres
Cap sur une autre favéla de Rio, Rocinha, 70 000 habitants. Une ville dans la ville avec ses banques, ses hôtels. Depuis sa pacification, Rocinha symbolise le retour de l’État dans les favélas : à son pied, on trouve un commissariat, une école et une « clinica de familia » ouverte du matin au soir. Le centre offre gratuitement des soins de proximité et des médicaments.
Pour les urgences, il faut sortir de la favéla. Cela se passe bien, souvent. Mais pas toujours. Gloria en a fait les frais à l’occasion d’une hémorragie. Retraitée, Gloria vit chichement dans une pièce minuscule, avec télé, frigo et ventilateur. « L’Argentine a invité mon groupe de samba à danser, raconte-t-elle. Pour partir, il fallait être en bonne santé. L’UPA [unité pour les petites urgences] m’a dit de chercher un gynécologue, que j’ai payé 800 réals [260 euros]. Le problème est réglé mais ma pension y est passée ».
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