Salvador, capitale de l’État de Bahia, compte 2,9 millions d’habitants. Les gratte-ciel dominent des maisons insalubres. Pour y être bien soigné, mieux vaut être riche. Visite de deux hôpitaux, l’un public, l’autre privé. Le grand écart illustre les failles du système de santé brésilien.
Dehors, la tempête mugit. Palmiers ployés, mer démontée. L’hôpital s’est transformé en étuve. Les portes sont grandes ouvertes pour que circule l’air, et les lits, tous occupés (jusqu’à 8 par chambre). Au sous-sol, les brancards encombrent les couloirs. Les salles communes débordent de patients en attente d’une chirurgie. Certains stationnent là, sous terre, depuis plusieurs semaines. Bandés, rafistolés, à moitié dénudés (il fait très chaud), mais toujours pas opérés. Leur cas, pourtant, est urgent.
Cet hôpital public, l’un des plus importants à Salvador (mais sans doute pas la meilleure vitrine de l’hospitalisation publique brésilienne), est spécialisé en orthopédie. Il accueille les accidentés de la route sans plan de santé. Le service rendu est comme la météo : capricieux.
Complications à la pelle en attendant le coup de bistouri
João (prénom d’emprunt) est de garde ce dimanche. À 50 ans, ce praticien se spécialise dans la chirurgie du rachis. Il raconte sa lutte pour exercer. « Nous manquons de matériel, d’instruments, de lits. Les blocs sont trop petits, et l’hôpital n’a pas d’IRM. L’accidenté qui arrive ici avec un trauma médullaire attend un mois pour être opéré. Récupération difficile, escarres, infection urinaire... : c’est fini pour lui. Avec un plan de santé, il aurait été opéré le jour même dans le privé ».
João travaille sept jours sur sept dans trois hôpitaux. Il gagne 15 000 réals par mois (5 000 euros), tout juste de quoi louer sa maison et payer les études de ses quatre enfants. Le Mondial, il ne faut pas lui en parler. « Les Brésiliens ont besoin de travail. Pas de divertissement ».
Le privé répond aux standards internationaux
Non loin de là, l’hôpital privé Aliança est posé sur une frontière invisible. D’un côté une favéla, de l’autre des immeubles luxueux. Changement de décor : air climatisé, fresques murales, couloirs dégagés, salons relaxants... Les délais sont courts, et les tarifs, hors de portée sans plan de santé.
Les classes moyennes supérieures viennent ici pour la chirurgie, l’obstétrique, la pédiatrie. Retraité du secteur public, le Dr Joscelin Ribeiro, 66 ans, s’offre une seconde carrière dans le privé. « On a une IRM et on utilise les standards internationaux », se réjouit l’orthopédiste.
Lui aussi peste contre la corruption, l’insécurité (35 morts chaque week-end en ville), le manque d’infrastructures. « À Salvador, il y a 6 km de rails et le métro ne marche pas. C’est fou! », raconte-t-il au volant de son 4x4.
Le nouveau maire reconstruit des routes, des écoles. Le stade de foot est tout neuf. Les hôpitaux ? Ils attendront leur tour. « Le SUS [système universel de santé] est une très bonne idée sur le papier, mais cela suppose des investissements. Le privé marche mieux car il est organisé ».
Repères
200 millions d’habitants
74 ans d’espérance de vie (68 ans en 1994)
331 000 médecins (1,8 pour 1 000 habitants)
35 000 équipes de soins primaires
157 SAMU et 596 UPA (unités pour les petites urgences)
5 000 hôpitaux publics
1 700 hôpitaux privés à but lucratif
236 euros (724 réals) : le salaire minimum
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