« IL VA FALLOIR faire évoluer une partie de l’hôpital psychiatrique pour tenir compte de cette trilogie : la prison, la rue, l’hôpital, et trouver le bon équilibre et le bon compromis », conclut Nicolas Sarkozy le 2 décembre 2008 à Antony. Quelques jours auparavant, un jeune homme de 26 ans avait été tué dans une rue de Grenoble par un malade mental ayant fugué d’un établissement psychiatrique. Le chef de l’État annonce alors « une réforme sanitaire des procédures de l’hospitalisation d’office ». Le 5 mai 2010, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot présente un projet de loi, déposé le même jour à l’Assemblée nationale, qui réforme la loi du27 juin 1990.
Remplacement de la notion d’hospitalisation sous contrainte par celle beaucoup plus large de soins psychiatriques sans consentement ; période d’observation portée à 72 heures maximum en hospitalisation complète ; simplification des procédures d’admission ; suppression des sorties d’essai, remplacées par programmes de soins en ambulatoire ; collège de soignants pour statuer sur les cas les plus difficiles, constituent les principales dispositions d’un texte très rapidement taxé de « sécuritaire » et « inapplicable » par les syndicats de psychiatres. Il faudra toutefois attendre onze mois avant que ce projet de loi ne soit débattu à l’Assemblée. Entre temps, le gouvernement a dû revoir sa copie dans l’urgence suite à une décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010, qui impose, au 1er août 2011, un contrôle judiciaire systématique des procédures de soins psychiatriques sous contrainte au-delà de 15 jours d’hospitalisation. Le 26 janvier 2011, le projet de loi est modifié dans le cadre d’une « lettre rectificative » où les articles régissant l’hospitalisation sous contrainte sont remplacés par « de nouvelles dispositions conformes à la Constitution ».
L’examen du texte débute le 15 mars à l’Assemblée nationale. Des syndicats de psychiatres, rejoints par des organisations de défense de droits de l’homme et les syndicats de magistrats, se mobilisent tout au long du débat parlementaire et réclament le retrait du projet de loi en faveur d’une grande loi sur la psychiatrie incluant une réforme de l’hospitalisation sous contrainte. Pour tenter de calmer les esprits, la secrétaire d’État à la Santé, Nora Berra annonce un deuxième plan Santé mentale avant la fin de l’année. Après deux lectures au Sénat et trois lectures à l’Assemblée, le projet de loi est définitivement adopté le 22 juin. Moins de 15 jours plus tard, la loi du 5 juillet 2011 relative « aux droits à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge » est publiée au « Journal Officiel ». Les décrets d’application suivront peu après (« JO » du19 juillet).
Un impact sur la justice.
L’entrée en vigueur du nouveau dispositif de soins psychiatriques sans consentement en plein cœur de l’été, le 1er août, donne des sueurs froides tant aux services hospitaliers qu’aux tribunaux, qui auront au moins 80 000 décisions supplémentaires par an à absorber à effectifs constants (avant que des renforts n’arrivent plus tard). Après plusieurs mois de rodage, « le système de contrôle judiciaire fonctionne tant bien que mal mais impacte les autres services des tribunaux », souligne Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature. Selon les localités, les modalités de ce contrôle diffèrent grandement. Dans l’attente de chiffres officiels à ce sujet, il semble acquis qu’une majorité des audiences des personnes hospitalisées sans leur consentement et déclarées aptes par les médecins se font directement dans l’enceinte du tribunal, ce qui mobilise inévitablement des personnels soignants. Certains juges se rendent dans les hôpitaux, « soit parce que les services psychiatriques refusent d’amener les malades, soit parce que les JLD* se sont rendus compte qu’ils suscitaient chez ces personnes une trop grande inquiétude », commente Clarisse Tanon. L’alternative de la visioconférence reste quant à elle encore peu utilisée pour des raisons à la fois techniques et idéologiques. Une étude de la chancellerie montre que, sur 4 000 décisions rendues en août dans le cadre des contrôles judiciaires systématiques des procédures de soins sans consentement en hospitalisation, à peine 5 % ont donné lieu à une main levée.
Rigidités administratives.
Dans les services hospitaliers, les professionnels sont nombreux à dénoncer les rigidités administratives du nouveau dispositif. « Par exemple, à la place des sorties d’essai, il faut désormais réaliser des programmes de soins sans consentement en ambulatoire, avec une lourdeur spécialement inutile pour des pratiques qui existaient déjà auparavant », indique le Dr Alain Vaissermann, président du Comité d’action syndicale de la psychiatrie (CASP). De même, les procédures supplémentaires d’évaluation clinique des patients durant les 72 premières heures d’observation en hospitalisation sans consentement se révèlent très chronophages au quotidien. « Les psychiatres doivent rédiger un nombre important de certificats durant une période assez courte. Il y a aussi la question de l’avis du psychiatre ne participant pas à la prise en charge, ce qui contraint les professionnels à courir entre les services pour aller signer des papiers. Cela n’apporte rien d’un point de vue médical, mais c’est prévu par la loi, donc ça occupe », déplore le Dr Vaissermann. S’agissant des soins psychiatriques hors hospitalisation complète, le législateur a ouvert la voie à une prise en charge en psychiatrie libérale. « À ce jour, nous n’avons pas de retour de psychiatres libéraux qui se soient engagés dans ce type de procédure. Nous ne sommes pas en mesure d’assurer matériellement une telle façon d’accueillir les patients. C’est vraiment quelque chose d’incompatible avec le cadre de soins en cabinet de ville », déclare le Dr Michel Marchand, président du Syndicat national des psychiatres privés (SNPP) qui réclame, comme d’autres organisations syndicales, une évaluation du dispositif de soins sans consentement d’ici à quelques mois. Avant peut-être d’en corriger les imperfections. Quant au deuxième plan Santé mentale, de nombreux syndicats redoutent déjà un service minimum du gouvernement.
* Juges des libertés et de la détention.
Article suivant
La loi à l’épreuve du terrain
Une réforme qui passe mal
La loi à l’épreuve du terrain
Des psychiatres entrent en résistance contre les soins sans consentement
Soins psychiatriques sans consentement : la loi au « J.O. »
Hospitalisation d’office : la troisième lecture clôt le débat
Les sénateurs valident la réforme
Hospitalisation d’office : examen express à l’Assemblée
Les sénateurs valident la réforme dans la douleur
Manifestation de la dernière chance
Les sénateurs veulent accroître les pouvoirs du juge
Magistrats et psychiatres parlent d’une seule voix
Les syndicats unis contre la réforme
Le projet de loi devant les députés le 15 mars
Vers un plan Maladies rénales ? Le think tank UC2m met en avant le dépistage précoce
La prescription d’antibiotiques en ville se stabilise
Le Parlement adopte une loi sur le repérage des troubles du neurodéveloppement
Chirurgie : les protocoles de lutte contre l’antibiorésistance restent mal appliqués, regrette l’Académie