Le volume des ventes de cigarettes décline depuis de nombreuses années, tant en France que dans le monde, et cependant l’industrie du tabac continue de se porter comme un charme, offrant à ses actionnaires des profits en constante augmentation d’année en année. Cette situation apparemment paradoxale s’explique par la nature du marché sur lequel opère cette industrie : le marché de l’addiction. L’industrie du tabac bénéficie d’une clientèle captive, qui peut tolérer des augmentations modérées de prix sans modifier de façon significative sa consommation. Les compagnies de tabac exploitent cette tolérance pour augmenter leurs marges de profit, ce qui leur permet à la fois de compenser la baisse du volume des ventes et d’accroître leurs bénéfices.
Cette politique de hausse modérée des prix atteint cependant ses limites lorsqu’elle est cumulée avec des augmentations significatives des taxes sur le tabac, telles que pratiquées en France au cours des années récentes. L’augmentation des prix de vente au détail qui en résulte conduit alors à des niveaux de prix qui produisent des effets dissuasifs sur les fumeurs et font chuter leur nombre, tout en diminuant le nombre de jeunes qui s’initient au tabac. Ainsi l’évolution en nette hausse des prix des cigarettes en France au cours des trois dernières années (conjointement avec l’introduction du paquet neutre et d’autres mesures) explique que notre pays compte 1,6 million de fumeurs de moins qu’en 2016.
Élargir le marché et reconstituer les marges
Cette mutation ne pouvait pas laisser l’industrie du tabac sans réagir. La contraction de son marché de base – celui de la cigarette – qui s’accélère au niveau mondial depuis que les pays mettent en œuvre les mesures préconisées par la Convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (notamment les fortes augmentations des taxes) contraignent les multinationales cigarettières à revoir de fond en comble leur stratégie commerciale. Un bon exemple d’une telle mutation stratégique est fourni par la compagnie Philip Morris International (PMI), qui a compris que, pour éviter le déclin, il lui fallait satisfaire deux conditions.
D’une part, qu’elle devait élargir son marché, en substituant à celui traditionnel de la cigarette, un marché plus vaste, l’englobant : le marché de l’addiction à la nicotine. Pour cela, elle a diversifié ses produits, introduisant iQOS, son produit phare de tabac chauffé et d’autres, de type cigarette électronique ou hybrides. Cette diversification crée une nouvelle dynamique commerciale. La palette de nouveaux produits offre de multiples points d’entrée pour les nouveaux consommateurs – et en particulier les jeunes – permettant à la compagnie de recruter une plus grande variété de clients. Ces produits, y compris la cigarette, sont autant d’alternatives permettant à la compagnie de conserver les consommateurs qui seraient tentés de quitter le marché, en leur proposant un produit de substitution les maintenant dans l’addiction à la nicotine.
L’autre condition était de reconstituer ses marges de profit, de plus en plus érodées par les taxes sur le tabac. La tactique utilisée dans ce but par PMI est de présenter ses nouveaux produits comme étant « à risque réduit » et d’exiger qu’ils aient un statut fiscal privilégié par rapport à la cigarette. C’est ce que la compagnie a fait avec son produit iQOS, en le présentant comme la panacée qui permettra de créer un « monde sans fumée » (mais pas sans tabac !). Ce discours ne tient pas debout : nul ne sait quelles sont les conséquences sanitaires à long terme de l’iQOS ; il n’est même pas exclu qu’il soit tout aussi nocif, voire plus, que la cigarette traditionnelle. Cependant, les gouvernements, à de très rares exceptions près (par exemple, Israël), ne flairent pas le piège et accordent à l’iQOS un régime fiscal de faveur, y compris en France.
La « réduction de risque », un écran de fumée
PMI se sert de l’argument « réduction de risque » comme d’un écran de fumée, derrière lequel la compagnie développe une stratégie commerciale pour donner une nouvelle impulsion à son produit phare, la cigarette, et notamment sa marque Marlboro, dont elle tire la grande majorité de ses profits. Tout en clamant sa détermination à promouvoir « un monde sans fumée », elle s’engage ouvertement auprès de ses actionnaires à conserver sa position de leader du marché de la cigarette. Les chiffres les plus récents publiés dans ses rapports aux investisseurs montrent que, loin de porter préjudice à ses marques de cigarettes, le développement de l’iQOS s’accompagne, au niveau mondial, d’une consolidation, voire d’une augmentation des parts du marché de la cigarette détenues par PMI. Cette évolution est inquiétante pour la santé publique, car elle met en péril les avancées récentes en matière de prévention du tabagisme. Il est urgent que nos autorités réagissent et traitent l’iQOS et les autres produits du tabac chauffé strictement comme la cigarette, en leur appliquant notamment la même taxation et en les soumettant à la même législation et réglementation que la cigarette classique, y compris le paquet neutre.
Vice-président du CNCT, président d’OxySuisse (Genève)
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