Le tabac a un effet délétère sur toutes les pathologies : il les engendre, les aggrave ou les chronicise. L’addiction au tabac est elle-même une maladie chronique mais qui bénéficie de traitements efficaces, sous réserve d’un accompagnement bien conduit.
Ce que les praticiens connaissent sans doute moins bien, c’est l’effet de la fumée de tabac sur les traitements en cours de leurs patients : le tabac diminue l’efficacité de nombreux médicaments.
Mécanismes pharmacodynamiques : contre l’action thérapeutique
La nicotine inhalée induit activation sympathicomimétique, qui contrarie l’effet des bêtabloquants, ou des antiarythmiques. La fumée de tabac génère également une activation de l’agrégation plaquettaire et l’augmentation de la viscosité sanguine, ce qui va à l’encontre de l’action des anticoagulants.
Le tabagisme engendre aussi une vasoconstriction sous-cutanée, qui réduit l’effet de l’insuline. Les études montrent que les corticoïdes, oraux et inhalés, sont moins efficaces chez les fumeurs, de même que les benzodiazépines (la nicotine stimulant le système nerveux central) et que les antalgiques (par abaissement du seuil de la douleur), ou encore les antiulcéreux (du fait de l’hypersécrétion gastrique).
Les antidépresseurs voient leur effet largement réduit par l’activité dépressogène de la fumée de tabac, qui modifie physiquement les structures cérébrales de l’humeur.
Mécanismes pharmacocinétiques : élimination accrue des médicaments
La nicotine, le CO mais surtout les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ont une action directe sur le cytochrome CYP 450, augmentant l’élimination hépatique de certaines classes de bêtabloquants ou leur élimination rénale. Et des inhibiteurs calciques voient leur clairance accrue.
La clairance de l’héparine est également augmentée : sa demi-vie est plus courte chez les fumeurs (40 minutes vs. une heure). Ceux-ci devraient donc être traités avec des doses supérieures d’héparine. La conversion métabolique de certains antiplaquettaires est activée.
Des études ont montré que des chimiothérapies anticancéreuses avaient une clairance métabolique accélérée (erlotinib, irinotécan, gemcitabine) ; l’efficacité moindre de l’erlotinib chez les fumeurs est aujourd’hui établie.
Les neuroleptiques ont, chez le fumeur, une diminution de leur concentration sérique jusqu’à 70 %. C’est le cas également des antidépresseurs tricycliques, et de certains inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS).
De façon générale, à l’arrêt du tabac, l’accélération du métabolisme des traitements concernés disparaît en 2 à 3 semaines, ce qui expose à un surdosage, avec nécessité d’une surveillance sur le 1er mois et adaptation thérapeutique… La vigilance doit être particulière pour les neuroleptiques, la méthadone, l’héparine !
Notons que la nicotine n’est que peu en cause dans ce type d’interaction médicamenteuse. Les traitements de substitution nicotinique ne sont pas protecteurs !
Majoration des effets indésirables
Dernier mécanisme, la majoration des effets indésirables de certains traitements chez le fumeur. Par exemple, l’action procoagulante des œstroprogestatifs est accrue. La toxicité de la radiothérapie est également augmentée avec, selon les localisations de l’irradiation, un risque d’ostéonécrose mandibulaire, de complications cutanées…
Exergue : La nicotine n’est que peu en cause
1- Service de pharmacologie clinique et toxicologie – CHRU Nancy 2- Médecin addictologue, hôpital Suburbain du Bouscat-Bordeaux- membre administrateur de la SFT 3- Professeur honoraire de cardiologie-Institut de cardiologie Pitié Salpêtrière, paris- Porte-parole de la SFT 4- Médecin tabacologue, Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard, Lyon
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