Les professionnels de santé français sont encore nombreux à fumer, malgré leurs connaissances sur les conséquences du tabagisme. « En 2006, 1,2 % des cardiologues aux États-Unis étaient fumeurs. Selon une étude datée de 2015 — soit 11 ans plus tard ! —, ils étaient encore 5 % en France. La différence est éloquente… en sachant que ce chiffre est certainement sous-estimé puisque de nombreux médecins fumeurs ne répondent pas aux enquêtes », prévient le Pr Daniel Thomas, ancien chef de service de cardiologie de la Pitié-Salpêtrière à Paris et porte-parole de la Société francophone de Tabacologie (SFT).
Particularité française
Afin de faire un état des lieux du tabagisme des médecins dans le monde, le Pr Frédéric Dutheil (Clermont-Ferrand) a réalisé une métaanalyse à partir de la littérature scientifique. Sur 246 études, il a constaté que le nombre de médecins fumeurs diminue : on est passé de 28 % en 1985 à 16 % en 2015. « La tendance mondiale est donc à la baisse, souligne le Pr Thomas. Mais, en France, on se situe encore largement au-dessus de ces chiffres. » D’après une enquête réalisée en 2021 auprès du personnel de l’HEGP (Ap-Hp, Centre Université Paris Cité), il y a en effet 27 % de médecins fumeurs dans cet établissement. « Pilotée par la Dr Anne-Laurence Le Faou, cette étude confirme bien la spécificité française : un nombre encore trop élevé de fumeurs parmi les personnels soignants, pointe le Pr Thomas. On constate un très fort contraste entre ce que les médecins sont censés connaître (par rapport à la population générale) sur l’effet du tabac sur la santé et leur attitude envers ce facteur tabac en tant que problématique de santé. »
Baromètre du tabagisme
Il y a une corrélation entre tabagisme des soignants et celui de la population générale. « C’est un réel ‘baromètre du tabagisme’ comme le montre l’analyse de l’évolution temporelle de la prévalence de leur tabagisme comparée à celle de la population générale », ajoute le Pr Thomas. De plus, le tabagisme des soignants a un effet sur leur attitude envers les patients, et sur la façon dont ils prennent en charge les patients fumeurs. « En tant que fumeurs, ils ne peuvent pas s’occuper de cette question à la hauteur de ce qu’elle représente en termes de santé publique, dénonce le Pr Thomas. Dans la pratique, leur statut de fumeur les place dans une situation inconfortable. Pour de nombreux soignants fumeurs, le fait de fumer conditionne leur capacité à aborder la question du tabac avec les patients, à conseiller l’arrêt et à accompagner concrètement et efficacement les fumeurs dans le sevrage. »
À l’inverse, le médecin qui a été fumeur et qui a arrêté sera plus performant et plus à même d’accompagner les fumeurs, ayant lui-même connu cette addiction. « Malgré un bon niveau d’information, les soignants ont autant de difficultés pour arrêter de fumer que tout un chacun car il est compliqué de sortir de cette addiction. Mais, quand ils sont parvenus à le faire, ils ont en général de bons outils à transmettre », ajoute le Pr Thomas.
Impact sur la prise en charge
Les soignants fumeurs doivent aussi prendre conscience que leur tabagisme a une influence sur leur propre vision du tabagisme, avec une relative sous-estimation de la nocivité du tabac, et sur leur volonté de se former au sevrage. « Ils sont moins demandeurs de formation sur le sujet. Ils ont donc moins de connaissances sur le sevrage tabagique et sur ce qu’il faut faire », note le Pr Thomas.
En outre, en fumant, les médecins contribuent au marketing de l’industrie du tabac, qui a longtemps valorisé ses produits en utilisant justement l’image de soignants en train de fumer, afin de minimiser la dangerosité du produit et/ou d’en vanter les prétendus « mérites »…
« Bien sûr, il n’est pas question de forcer qui que ce soit à arrêter de fumer. Cependant, il faut accélérer la prise de conscience. Oui, le tabagisme des professionnels de santé conditionne leur efficacité. À cause du déni, de la mauvaise conscience ou du sentiment d’être en porte-à-faux, le médecin fumeur est en quelque sorte handicapé pour la prise en charge du patient fumeur, dénonce le Pr Thomas. Ce n’est pas le cas pour un médecin diabétique ou hypertendu : au contraire, le fait d’avoir cette pathologie le rendra encore plus opérationnel pour soigner un patient dans le même cas. »
Environnement sans tabac
Sensibilisation, information, formation… Les choses doivent changer. « Aujourd’hui, tous les professionnels de santé devraient être non-fumeurs et créer autour d’eux un environnement sans tabac. Ils devraient faire en sorte que leur ‘exemple’ soit cohérent avec leurs messages et, s’ils sont encore fumeurs, effectuer une démarche volontaire et effective pour sortir du tabac et ne pas fumer devant leurs patients », préconise le Pr Thomas.
Il faut aussi agir pour que les futurs soignants n’entrent pas dans le tabagisme. « Les autorités de santé ont un rôle à jouer, ajoute le Pr Thomas. Elles doivent adopter des politiques actives pour inciter les soignants à être des ‘exemples’. Elles doivent aussi optimiser et faire respecter l’interdiction de fumer dans les hôpitaux et dans toutes les structures de soins. Enfin, elles doivent s’assurer que les soignants en formation acquièrent les connaissances nécessaires à la prise en charge des fumeurs. »
Les enjeux sont de taille. « Pour rappel, le Programme national de lutte contre le tabac a pour objectif qu’en 2032, les enfants nés depuis 2014 deviennent la première génération avec moins de 5 % de fumeurs. Que les professionnels de santé soient non-fumeurs à cette échéance est l’un des éléments devant contribuer à la réussite de ce programme », conclut le Pr Thomas.
Exergue : « Oui, le tabagisme des professionnels de santé conditionne leur efficacité »
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