L’incidence du cancer de la prostate aux Antilles, de 174 cas/100 000, est quasiment le double de celle de la France métropolitaine (88/100 000). Une incidence élevée qui s’explique en grande partie par les caractéristiques ethno-géographiques de la population, d’ascendance africaine, et qui est d’ailleurs comparable à celle observée chez les Afro-Américains.
Autre particularité, environnementale : la pollution au chlordécone, insecticide organochloré très largement utilisé entre 1973 et 1993 pour lutter contre le charançon du bananier, et dont la dégradation est faible. On estime ainsi qu’aujourd’hui un tiers des terres agricoles et du littoral marin seraient pollués par le chlordécone et que 90 % de la population serait contaminée.
Si la dangerosité potentielle du chlordécone a été mise en évidence pour la première fois en 1961, sa cancérogénicité a été soulignée par le National cancer Institute en 1976. Des travaux datant de 1989 ont montré qu’il agit comme promoteur tumoral.
5 à 8 % des cancers
Il était donc légitime de s’interroger sur les éventuels liens entre cette contamination par le chlordécone et le risque de cancer de la prostate. Une première étude, cas-témoins (729 patients comparés à 722 témoins) a mis en évidence une relation dose-effet, avec une association significative chez les sujets ayant les concentrations sanguines de chlordécone dans le quatrième quartile. L’excès de risque était plus élevé chez les patients qui avaient une tumeur agressive au diagnostic, chez ceux ayant un antécédent familial de cancer de la prostate et chez ceux ayant des variants alléliques de la chlordécone réductase associés à une moindre capacité d’élimination du pesticide. Cette association n’était pas modifiée par la présence d’autres pesticides. La fraction de cancers attribuable au chlordécone est estimée entre 5 et 8 %, soit de 25 à 40 cas annuels.
Une autre étude s’est intéressée à l’impact de l’exposition au chlordécone sur le risque de récidive biologique après traitement par prostatectomie radicale sur une cohorte de 326 patients, suivis pendant plus de six ans. L’exposition au chlordécone s’est montrée associée à un risque accru de récidive biochimique, avec là encore, une relation dose-effet. Cette association persistait après prise en compte de l’exposition à d’autres polluants et dans les analyses de sensibilité, après exclusion des formes agressives (ISU ≥ 3, pT3 ou N +, marges chirurgicales positives).
Un rationnel biologique
Plusieurs mécanismes biologiques sont avancés pour expliquer l’impact délétère du chlordécone, considéré comme un agent cancérigène par de nombreuses instances, telles que l’IARC (Agence de recherche sur la cancer de l’OMS), ou le US-RTP (Programme national de toxicologie aux États-Unis). Il s'agit de l'activation des voies estrogéniques génomiques et non génomiques, de la prolifération des cellules endothéliales et de la vascularisation des tumeurs prostatiques, de l'activation de la prolifération cellulaire et de la croissance tumorale via l’ornithine décarboxylase et la protéine kinase C, ou encore de l'augmentation des récepteurs impliqués dans la signalisation du micro-environnement tumoral.
Sur la base d’une analyse détaillée des données épidémiologiques, toxicologiques et physiopathologiques existantes, l’expertise collective Inserm « Pesticides et santé » a, dans un rapport préliminaire publié en février 2019, estimé que les données existantes soutiennent le rôle du chlordécone comme promoteur tumoral et sa capacité à intervenir dans les processus qui favorisent le développement tumoral. Cette expertise collective a conclu à une relation causale vraisemblable entre l’exposition au chlordécone et le risque de survenue du cancer de la prostate.
« Les études doivent se poursuivre, mais parallèlement, la question de la mise en place d’un dépistage peut se poser », a indiqué le Dr Laurent Bruneau.
D’après la présentation du Dr Laurent Bruneau, Pointe-à-Pitre
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