LE QUOTIDIEN : Qu’en est-il de l’emploi en pratique clinique des agonistes du récepteur du GLP1 ? Il semble que leur utilisation soit suboptimale ?
PR BRUNO GUERCI : Le plus étonnant est que nous sortons d’une dizaine d’années d’études de sécurité et d’efficacité cardiovasculaire (CV), en particulier avec les agonistes du récepteur du GLP1, avec huit études randomisées conduites auprès de populations de patients diabétiques à haut risque CV ou avec maladie cardiovasculaire (MCV) établie. C’est également le cas avec les inhibiteurs du SGLT2, avec cinq études majeures publiées dans ce domaine. Malgré cela, il existe un important décalage entre les preuves de la sécurité cardiovasculaire ou rénale de ces molécules, qui ont amené à les positionner de manière prioritaire dans l’algorithme de traitement du patient diabétique de type 2 (DT2), et leur relative faible utilisation dans la vraie vie.
L’étude Capture, publiée cette année, a montré, dans une très large population de près de 10 000 patients DT2 sur 5 continents et 13 pays, que plus d’un tiers de ces patients (34,8 %) présentaient une MCV établie mais, parmi eux, seuls 9,5 % et 16,5 % des patients bénéficiaient d’un traitement par arGLP1 ou iSGLT2. Plus inquiétant, ce sans différenciation sur le profil cardiovasculaire du patient : 21,5 % des patients avec MCV recevaient un arGLP1 et/ou un iSGLT2, contre 22,2 % des patients sans MCV (1).
Afin de remédier à ce décalage entre les données des essais cliniques et les prescriptions, il est sans doute utile d’apporter des données provenant de la vraie vie. Ces études, RWE pour « real world evidence », sont réalisées sur des populations beaucoup plus larges et hétérogènes, et répondant à des situations de pratique clinique pluriprofessionnelle. Elles apportent aussi un éclairage intéressant sur la consommation de soins selon les stratégies mises en œuvre. Cela a été en particulier démontré et rapporté au congrès dans une large étude (Emprise) conduite dans quatre pays d’Europe sur plus de 70 000 patients avec l’empagliflozine, en comparaison de l’utilisation des iDPP4, avec une baisse des hospitalisations de 25 %, des entrées en unité d’urgence de 20 % ou de visites en consultation de 11 % (2, 3).
Que faut-il penser des associations ?
Les associations de traitements sont nombreuses et certaines peuvent apparaître tentantes, comme arGLP1/iSGLT2, mais à ce jour cette association ne fait pas l’objet d’un remboursement en France. C’est donc avec un intérêt certain que l’on peut suivre le développement de co-agonistes, c’est dire d’agonistes « double hormone », dont de nouvelles données ont été présentées au congrès. C’est le cas notamment avec le tirzépatide, nouveau co-agoniste GIP-GLP1, dont les résultats du programme Surpass sont très impressionnants, en termes de puissance d’effets sur l’HbA1c et le poids : au-delà de — 2 % d’HbA1c en valeur absolue, avec des baisses de poids qui atteignent jusque 10 à 15 kg (4,5), pour des doses de 5 à 15 mg/semaine (vs. semaglutide à 1 mg/semaine). Pour près de 50 % des patients, cela se traduit par un retour à une valeur d’HbA1c en dessous du seuil de diagnostic du diabète (< 5,7%), et plus de 80 % d’entre eux atteignant l’objectif classiquement retenu, < 7,0 %. De plus, un pourcentage élevé de patients sont répondeurs, avec 65 % des patients qui perdent plus de 10 % du poids, et 40 % qui perdent plus de 15 % du poids.
Les mécanismes d’action restent à préciser en qui concerne l’amélioration de la sensibilité à l’insuline, l’effet direct central de contrôle de la prise alimentaire, ou d’autres effets sur des organes clés comme l’adipocyte, le muscle ou le foie. Une session complète a été dédiée à ces aspects mécanistiques de fonctionnement de cette molécule particulièrement puissante (6).
Un autre double agoniste, le cotaglutide, a donné lieu à plusieurs communications au congrès. Il s’agit d’un double agoniste des récepteurs au GLP1 et au glucagon, avec des effets portant sur la réduction de la lipogenèse, de l’inflammation, de la fibrose, plus une perte de poids (par augmentation de la dépense énergétique) et une amélioration de la clairance du glucose. Cependant, il semble avoir un effet moins puissant que le tirzépatide sur l’HBA1c et le poids, même si on ne dispose pas à ce jour d’étude comparative. Le développement du cotaglutide est orienté sur l’amélioration de la stéatohépatite non alcoolique (7, 8).
On parle de plus en plus des inhibiteurs doubles SGLT1-SGLT2. Quelle sera leur place ?
Il s’agit essentiellement de la sotagliflozine. Les SGLT2 sont responsables de 90 % de la réabsorption du glucose et du sodium au niveau du tubule proximal ; et les SGLT1 sont localisés au niveau intestinal, en inhibant le transport et la réabsorption du glucose au niveau de la barrière intestinale. Les données concernant son efficacité et sa sécurité cardiovasculaire (étude Soloist-WHF) et rénale (étude Scored), qui viennent d’être publiées (9), rendent cette molécule intéressante, en particulier chez des patients DT2 avec maladie rénale chronique (DFG entre 25 et 60 ml/min) ou atteints d’insuffisance cardiaque avec épisodes récurrents d’hospitalisation (10).
Il y a cependant, sur le plan des effets secondaires, un effet additif de l’inhibition des SGLT2 au niveau rénal et des SGLT1 au niveau intestinal, avec des troubles digestifs non négligeables. Ce produit sera sans doute destiné au traitement de la maladie rénale et de l’insuffisance cardiaque à terme, pour peu qu’il obtienne une AMM européenne et un remboursement en France.
La finérénone a fait l’objet de plusieurs présentations au congrès. Que peut-on en retenir ?
La finérénone est un nouvel antagoniste des récepteurs des minéralocorticoïdes, mais non stéroïdien. Cette molécule a démontré, à travers deux études (Fidelio-DKD publiée en 2020) et Figaro-DKD (présentée au congrès de l’European society of cardiology en août 2021), conduites chez des patients DT2 avec une insuffisance rénale légère à sévère, une protection cardiorénale et une réduction du risque de morbimortalité cardiovasculaire (11). Un des points intéressants est qu’il s’agit d’une molécule présentant une meilleure tolérance que les classiques antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes, et notamment beaucoup moins de risque d’hyperkaliémie. La finérénone semble donc une molécule particulièrement intéressante pour l’avenir, peut-être en association aux autres traitements de l’insuffisance cardiaque, ou aux traitements qui sont classiquement prescrits chez les patients avec maladie rénale chronique.
(1) Mosenzon O et al. Cardiovasc Diabetol 2021;20:154 (2) EASD 2021, C, SO27 (3) EASD 2021, C, SO 2. Abs 444, L. Niskanen (4) EASD 2021, 04, OP 04 (5) EASD 2021, 04, OP 04, Abs 22, M. J Davies (6) EASD 2021, S42a (7) EASD 2021, SO 30 (8) EASD 2021, SO 30, Abs 476, A. Flor (9) Nejm 2021; 384 (2):129-39 (10) Nejm 2021 Jan 14; 384 (2):117-28 (11) Nejm 2021 Aug 28. doi : 10.1056/NEJMoa2110956(12) McDonagh TA et al. Eur Heart J 2021;42(36):3599-726
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