Les pneumologues ont un rôle important à jouer dans la lutte contre les facteurs environnementaux, qui affectent grandement la santé respiratoire. Ce sujet a été développé lors de la session commune de l’European Respiratory Society (ERS) et de la Société de pneumologie de langue française (SPLF). La Pr Chantal Raherison-Semjen (CHU de Pointe-à-Pitre) a notamment rappelé la tenue des États généraux de la santé respiratoire fin 2021 et la création en France de l’Observatoire de la santé respiratoire, qui s’inscrit dans la démarche de la Coalition respiratoire internationale.
Explorer l’exposome
« Le concept d’exposome est en train de modifier notre regard sur les maladies respiratoires chroniques, souligne la Pr Claire Andrejak (CHU d’Amiens). Il complète les données du génome et permet une approche intégrée de ces maladies. » L’exposome désigne l’ensemble des facteurs auxquels est exposé un individu tout au long de sa vie, de sa conception à son décès, et qui influencent sa santé. Cette définition a été faite pour la première fois par Christopher Wild en 2005. On distingue trois grandes catégories : l’exposome interne (hormones, flore microbienne), externe spécifique (facteurs environnementaux) et externe général (influences socio-économiques, psychologiques). La complexité et la difficulté de mesurer l’effet de ces différents facteurs sur la santé restent encore un défi, qui nécessite une expertise multidisciplinaire. Des cohortes épidémiologiques se mettent en place (cohorte Egea dans l’asthme par exemple en France). « Le chemin est encore long, nous en sommes au tout début. La SPLF s’y intéresse particulièrement », raconte la Pr Andrejak, soulignant qu’il « existe des facteurs environnementaux négatifs pour la santé, mais aussi des facteurs d’exposition protecteurs. Leur identification pourrait permettre des actions de prévention dans le futur. »
Particules fines, mutation de l’EGFR et initiation du cancer
La pollution de l’air tue chaque année sept millions de personnes dans le monde.
99 % de la population mondiale est exposée à des niveaux de pollution pour les particules fines (PM2,5) excédant les limites recommandées par l’OMS (< 5 µg /m³). De nombreuses études de cohorte établissent un lien entre cette la pollution atmosphérique et un risque de mortalité excessif, notamment par cancer du poumon. « Il s’agit du cancer le plus diagnostiqué dans le monde : 2,1 millions de nouveaux cas, soit 11,6 % de tous les nouveaux cas de cancer en 2018. C’est aussi la principale cause de décès par cancer : 1,8 million de décès, soit 18,4 % de tous les décès par cancer. Le taux de survie à cinq ans est de seulement 18 %. 80 % des cancers pulmonaires sont liés au tabac, mais la pollution atmosphérique est également en cause (cela a notamment été montré dans l’étude Escape), explique la Dr Lucile Sésé (hôpital Avicenne, Bobigny). Cependant, le mécanisme biologique n’était pas encore élucidé. Ce n’est que tout récemment qu’une étude publiée dans Nature (1) a permis de comprendre les étapes aboutissant à la transformation tumorale lors d’une exposition aux particules fines. »
Dans cette étude, les auteurs ont d’abord analysé les données de trois cohortes, en Angleterre, en Corée du Sud et à Taïwan. Les résultats ont montré qu’il existe un lien significatif, chez des non-fumeurs, entre l’incidence de l’adénocarcinome muté EGFR (qui concerne environ 15 à 20 % des patients) et le niveau d’exposition aux PM2,5. Cette exposition est rapidement néfaste : trois années seulement suffisent à augmenter le risque de développer ce type de cancer.
Ensuite, les chercheurs ont continué leurs études sur des modèles animaux (souris) et cellulaires, afin de préciser le mécanisme sous-jacent. Il apparaît que les particules fines entraînent un état inflammatoire (libération d’IL1β) dans le tissu pulmonaire, qui permet aux cellules mutées, génétiquement prédisposées, de proliférer. Chez l’animal, l’utilisation d’un anti-IL1β permet de réduire la formation de la tumeur. « Ces résultats laissent penser que le ciblage des voies inflammatoires peut limiter l’expansion de tumeurs chez des personnes prédisposées, exposées à la pollution atmosphérique. Une piste à l’avenir pour développer des stratégies préventives et thérapeutiques », se réjouit la Dr Sésé.
Autophagie pendant la grossesse
Un travail original a été présenté par la Dr Olga Gorlanova (Bâle, Suisse), qui avait déjà, dans des études précédentes, montré que l’exposition à la pollution de l’air pendant la grossesse pouvait affecter la fonction pulmonaire et le système immunitaire chez les nouveau-nés. Cette dernière étude a porté sur les protéines impliquées dans l’autophagie, le vieillissement et le remodelage cellulaire, pour déterminer comment l’exposition prénatale à la pollution de l’air pourrait les affecter (2).
Les chercheurs ont mesuré 11 protéines trouvées dans le sang de cordon de 449 nouveau-nés en bonne santé de la cohorte Bern Basel Infant Lung Development (Bild), qui étudie les effets de la génétique et de l’environnement sur le développement des enfants.
Les résultats montrent que l’exposition au NO2 est liée à une diminution de l’activité des protéines Sirt1, qui jouent un rôle protecteur dans la résistance au stress et de l’IL-8. Elle est également associée à une augmentation des niveaux de protéine Beclin-1, essentielle à l’initiation de l’autophagie. Ce travail s’ajoute au nombre croissant de preuves que les mécanismes liés à l’autophagie peuvent être impliqués dans la façon dont les cellules humaines réagissent à la pollution de l’air.
Vapotage et stress chronique
L’étude présentée par la Dr Teresa To (Toronto, Canada) s’est particulièrement intéressée à la relation entre vapotage, santé mentale et qualité de vie chez les jeunes (1). Les chercheurs ont utilisé les données de l’Enquête canadienne sur les mesures de santé. Sur 905 sujets âgés de 15 à 30 ans, 115 (12,7 %) ont déclaré avoir utilisé des cigarettes électroniques. Ils souffraient de stress chronique (revenus, consommation d’alcool, problèmes de santé ont été pris en compte) et avaient une moins bonne qualité de vie.
Cette étude montre un lien entre vapotage et stress mais ne montre pas s’il a causé une augmentation du vapotage ou si celui-ci a augmenté les expériences de stress. Le vapotage n’est pas un moyen efficace de faire face au stress, mais le stress et l’anxiété peuvent déclencher des envies de vapotage et rendre plus difficile l’arrêt du tabac. Par ailleurs, le stress induit un stress oxydatif et une inflammation, qui jouent un rôle important dans le risque de développer des maladies chroniques telles que l’asthme, le diabète et les maladies cardiovasculaires.
(1) ERS 2023. OA 4231
Session ERS-CPLF (1) Hill W et al. Nature. 2023 Apr;616(7955):159-67 (2) ERS 2023. OA4941
Article suivant
L’asthme post-biothérapies
Plaidoyer pour un environnement sain
L’asthme post-biothérapies
Fin de la première étude du dépistage en vie réelle
La thérapie cellulaire pour la BPCO ?
La piste fibrose
Sarcoïdose : less is best
Les SMS du congrès ERS 2023
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?