Les données épidémiologiques montrent que les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes par la dépression : la prévalence sur une vie entière est de 17,1 % chez elles, vs. 9,1 % chez les hommes (données américaines de la National epidemiologic survey on alcohol and related conditions). Dans l’enfance, le ratio de sexe est proche de 1, avec une prévalence d’environ 1 %. C’est à l’adolescence, à partir de l’âge de 13 ans, que le ratio se déséquilibre. Après 60 ans, la prévalence de la dépression diminue et le sex ratio se rapproche de nouveau de 1 (1,8 % chez les femmes et 1,4 % chez les hommes).
Les différences entre les sexes dans le cerveau déprimé ont été peu étudiées, que ce soit en physiopathologie ou en neuro-imagerie. Tout juste le projet Enigma, mené dans 43 pays (Thompson et al. 2020), a-t-il permis de constater que « l’exposition à des traumatismes infantiles est associée à une réduction du volume du noyau caudé et de l’épaisseur corticale totale chez les femmes, mais pas chez les hommes », rapporte la Dr Aïda Cancel (Montpellier).
Troubles menstruels : des critères bien définis
Le trouble dysphorique prémenstruel (TDPM) est une forme sévère du syndrome prémenstruel (SPM). Les symptômes psychiatriques sont au premier plan tandis que, dans le SPM, les changements d’humeur sont mineurs et les symptômes physiques moins marqués.
Le TDPM a une prévalence annuelle estimée entre 2 et 9 % des femmes en âge de procréer, bien moins que le SPM modéré à sévère, qui touche de 25 à 30 % d’entre elles. Les symptômes sont cycliques, survenant pendant la phase lutéale, s’améliorant dans les premiers jours qui suivent le début des règles et disparaissant à la phase folliculaire.
« Le TDPM reste mal diagnostiqué et mal pris en charge, alors qu’il s’agit d’une clinique invalidante et répétitive pouvant affecter de manière notable la vie des femmes. Il fait maintenant partie intégrante du DSM-5, ce qui devrait permettre de la différencier du syndrome prémenstruel », souligne la Dr Anne-Laure Sutter-Dallay (Bordeaux). Pour porter le diagnostic de TDPM, la patiente doit présenter au moins cinq des onze symptômes listés, et au moins un parmi ces trois : humeur dépressive marquée, anxiété marquée, instabilité affective marquée. Les autres symptômes étant : diminution de l’intérêt pour les activités habituelles, difficulté de concentration, apathie, fatigue, modification des comportements alimentaires, troubles du sommeil, symptômes physiques (mastodynies, douleurs articulaires, etc.).
Le TDPM s’accompagne souvent de comorbidités. On le retrouve plus fréquemment en cas de trouble bipolaire. Certaines études soulignent aussi une augmentation de la suicidalité. De nombreux facteurs de risque ont été décrits, notamment psychosociaux (antécédents de trauma, faible niveau d’éducation, tabagisme, obésité) ainsi que des facteurs génétiques.
Hypothèses étiologiques et traitements
La physiopathologie du TDPM n’est pas encore complètement élucidée et différentes hypothèses ont été émises : réponse anormale aux variations hormonales, sensibilité du système nerveux aux fluctuations des hormones sexuelles, sensibilité réduite ou paradoxale de l’allopregnanolone aux récepteurs Gaba-A, interactions sérotonine-estrogènes, altération de la régulation des axes hypothalamo-hypophysosurrénalien (HPA) et hypothalamo-hypophysogonadique (HPG), augmentation de la production de marqueurs pro-inflammatoires.
La stratégie thérapeutique comporte différentes étapes. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont actuellement le traitement de première intention (fluoxétine, sertraline, paroxétine), en traitement séquentiel ou continu. Le citalopram et l’escitalopram sont également possibles.
Les benzodiazépines (alprazolam en phase lutéale), ne doivent pas être administrées en première intention, ni en continu. En deuxième intention, les contraceptifs oraux peuvent aussi être prescrits.
En cas de symptômes sévères, ne répondant pas aux ISRS et/ou aux contraceptifs oraux combinés, on peut alors passer aux agonistes de la LH-RH (GnRH), estrogènes ou danazol.
Dans des cas extrêmes, si le TDPM est sévère et ne répond à aucun des traitements conventionnels, un traitement chirurgical peut être discuté (hystérectomie avec ovariectomie bilatérale et THS).
L’acétate d’ulipristal (5 mg/j en continu) est à l’étude. D’autres recherches portent sur l’alloprégnanolone (déjà commercialisé aux États-Unis dans cette indication) et sur la sépranolone en sous-cutané.
Facteurs de risque en post-partum
La dépression du post-partum concerne de 10 à 20 % des femmes et elle peut entraîner des conséquences délétères. « Dans un tiers des cas, les troubles commencent pendant la grossesse : ce n’est pas forcément une période protégée. Il y a notamment un risque de décompensation en cas d’arrêt des traitements », prévient la Dr Sarah Tebeka (Hôpital Louis-Mourier, AP-HP).
Le début est dit précoce lorsque les symptômes surviennent de six à huit semaines après l’accouchement (30 % des cas). Mais il peut aussi être tardif, les troubles apparaissent alors dans les 2 à 12 mois.
Dans la moitié des cas, la dépression du post-partum signe l’entrée dans des troubles dépressifs et bipolaires ultérieurs. Le risque suicidaire est important. Il peut également y avoir des conséquences pour le nourrisson (prématurité, troubles du développement social, cognitif et émotionnel). « Il est donc essentiel de bien connaître tous les facteurs de vulnérabilité et de repérer ces femmes pour pouvoir les traiter précocement », insiste la psychiatre.
Parmi ces facteurs, on peut citer la santé physique (obésité, HTA), mais aussi une grossesse non désirée (OR = 2,1), compliquée (OR = 1,63), hospitalisée (OR = 3,95), un mode d’accouchement difficile (césarienne en urgence), la prématurité (OR = 2), un petit poids de naissance (OR = 4,21), le fait de ne pas allaiter (OR = 2,6).
Les facteurs psychosociaux, tels que l’isolement, l’absence de soutien social, les évènements de vie stressants, les traumatismes infantiles, conjugaux, sont très importants. Sans oublier l’histoire psychiatrique personnelle ou familiale, thymique, anxieuse, qui est un facteur majeur de dépression du post-partum. La vulnérabilité génétique a été confirmée, avec une héritabilité estimée autour de 50 %.
Exergue : Les différences entre les sexes ont été peu étudiées dans le cerveau déprimé
Session « Dépression au féminin » organisée par l’Association française de psychiatrie biologique et de neuropharmacologie (AFPBN)
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