Quand le sport devient une drogue

Les clés de la prise en charge de la bigorexie

Publié le 20/11/2014
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

À l’image des autres addictions comportementales, la bigorexie conduit à une perte de contrôle totale d’un individu dans son rapport à l’activité physique.

« Le sport n’est plus utilisé comme un objet de plaisir mais pour ne plus souffrir. Il envahit toute la vie au point d’engendrer des retentissements sur l’entourage qui se retrouve mis de côté, décrit le Dr Laurent Karila, psychiatre addictologue à l’hôpital Universitaire Paul Brousse et auteur d’ « Accro » aux éditions Flammarion. Quand ces personnes ne font pas de sport, elles se retrouvent en équivalent de manque. Ce n’est pas évident à évaluer, ce sont des symptômes émotionnels négatifs comme de la tristesse, de l’anxiété, de l’irritabilité. »

En consultation, « le principal signal d’alerte, ce sont des sujets qui ont des blessures musculaires à répétition et qui sont incapables d’interrompre de façon suffisamment prolongée l’activité physique », ajoute le Pr Henri Chabrol, psychiatre et responsable du pôle « psychopathologie de l’adulte » au Centre d’études et de recherches en psychopathologie (Octogone-CERPP) de l’Université de Toulouse. Chez certains patients, leur addiction au sport peut littéralement les amener au stade du burn-out.

Une maladie peu étudiée

Difficile de cerner l’ampleur de cette pathologie en France où très peu d’études ont été publiées à ce sujet. « Il n’y a pas de sexe-ratio évident. Je dirais que cela peut toucher autant les hommes que les femmes », estime le Dr Karila. Pour devenir addict au sport, pas besoin d’être un athlète de haut niveau. « Tous les profils peuvent être concernés, cela peut survenir à tous les âges de la vie chez l’adolescent comme chez l’adulte, voire même chez la personne âgée », souligne le Pr Chabrol. Dans la bigorexie, les sports individuels sont évidemment les plus à risque, notamment la musculation et les autres activités en salle de sport de type fitness, la course à pieds ou le cyclisme. Pour tenter d’expliquer ce qui conduit à l’addiction au sport, le Pr Chabrol et son équipe du CERPP explorent actuellement les voies de l’insatisfaction à la masse musculaire ou graisseuse. « L’insatisfaction musculaire peut être liée à des troubles de l’estime de soi, à des troubles dépressifs mais aussi à une forte pression médiatique et sociale pour un corps plus musclé, plus mince voire plus jeune pour les personnes plus âgées. Dans l’insatisfaction à la masse graisseuse, ce sont des sujets qui ont souvent des troubles du comportement alimentaire mineurs, engendrant une association et une influence réciproque négative entre les troubles du comportement alimentaire et l’addiction au sport », résume le Pr Chabrol.

Sortir du déni

Comme dans toutes les addictions, il y a chez le patient un déni que la pratique sportive est devenue un problème avec des aspects psychologiques à gérer autour de celle-ci. Dès lors, ce type de patient peut facilement échapper aux prises en charge spécialisées. « Les consultations que l’on fait à ce sujet sont finalement extrêmement rares », reconnaît le Pr Chabrol. « Le rôle du médecin généraliste s’avère absolument essentiel pour repérer et convaincre le sujet qu’il a un problème avec sa pratique sportive et qu’une prise en charge spécialisée s’avère souhaitable », poursuit le psychiatre. En second recours, le traitement inclut une approche psychothérapique associée à des mesures comportementales. Les premières étapes consistent à comprendre le mode de fonctionnement du patient vis-à-vis de sa pratique sportive. « Dès qu’une alliance thérapeutique est produite, il faut indispensablement tenter d’installer une réduction des heures d’activités physique. Il convient alors de mettre un peu les sujets sous tension en réduisant suffisamment l’activité physique pour que les conflits psychologiques puissent apparaître afin d’en discuter », explique le Pr Chabrol qui insiste sur le nécessaire caractère progressif de la réduction de la pratique sportive pour ne pas sevrer trop rapidement le patient et générer des effets de manque difficiles à gérer. « L’idée princeps de ce type de thérapie, c’est de reprendre du plaisir, que le sport redevienne quelque chose de plaisant au lieu d’un outil anti-souffrance », conclut le Dr Karila.

Samuel Spadone

Source : Le Quotidien du Médecin: 9367