« Face à une anaphylaxie, on ne sait finalement pas aujourd’hui distinguer les formes qui resteront légères des formes gravissimes pouvant aboutir au décès », souligne le Dr Guillaume Pouessel, pédiatre pneumo-allergologue au CH de Roubaix et coordinateur du groupe de travail Anaphylaxie de la Société française d’allergologie (SFA), lors d’une séance plénière dédiée. Or les cas sont en hausse, surtout chez les jeunes enfants – avec comme principaux déclencheurs les aliments alors que, chez l’adulte, ce sont plutôt les médicaments.
Une définition ambiguë
La notion de sévérité est vue différemment par le patient, l’allergologue ou le réanimateur. Il serait tentant de considérer que l'hospitalisation en réanimation puisse la définir mais l'idée ne passe pas l'épreuve des faits. Dans une étude récente menée sur le continent nord-américain, parmi plus de 1 900 patients pédiatriques admis en réanimation pour anaphylaxie, avec l’arachide comme principal déclencheur, tous ne présentaient pas des formes sévères (1).
De même, en France, une étude menée entre 2003 et 2013 dans les 32 services de réanimation pédiatrique a relevé 166 admissions pour anaphylaxie causée par des aliments, dont trois décès (2), alors que tous ne souffraient pas d’anaphylaxies sévères ; d’ailleurs, un certain nombre des enfants n’avaient reçu qu’une seule injection d’adrénaline. Et, dans la cohorte française du Pr Philippe Guerci (CHRU de Nancy), qui a examiné les patients admis en réanimation adulte entre 2012 et 2017, les aliments étaient responsables de seulement 7 % des cas d’anaphylaxie ; aucun n’était classé en grade 4 et aucun n’a entraîné de décès (3). « Tous les cas d’anaphylaxie en réanimation ne sont donc pas nécessairement sévères », conclut le Dr Pouessel.
2 sur 100
C’est la proportion de patients qui auront besoin de plus de deux injections d’adrénaline
Tout l’enjeu, et la grande difficulté, réside dans l’appréciation de la sévérité d’une réaction allergique. De nombreuses classifications existent à cette intention. « Elles peuvent être utilisées, mais il faut rester conscient que l’anaphylaxie est une manifestation hautement dynamique, évoluant rapidement, ce qui complique l’évaluation de sa sévérité. Et, en situation d’urgence, aucune classification n’est réellement utile », estime le Dr Pouessel, plutôt en faveur d’une stratégie de traitement graduée en fonction de l’apparition des symptômes, avec en premier lieu l’administration d’adrénaline IM. Environ 10 patients sur 100 traités pour une anaphylaxie requerront une deuxième dose, et environ 2 sur 100 auront besoin de plus de deux injections d’adrénaline.
Vers une évolution des concepts
La dernière classification en date est celle de l’Organisation mondiale de l’allergie, publiée en 2023. Le grade 3 est atteint lorsque le patient présente une atteinte des voies respiratoires basses à type de bronchospasme ou de toux, et/ou une atteinte des voies respiratoires supérieures et laryngées, et/ou en cas de manifestations gastro-intestinales et cutanées associées. Dans le grade 4, la situation se détériore avec l’apparition d’un bronchospasme sévère, un stridor avec des signes de lutte respiratoire, et/ou une atteinte cardiocirculatoire, caractérisée par une hypotension artérielle et une diminution de la pression artérielle, ainsi qu’une atteinte neurologique plus ou moins importante, cette dernière se manifestant par une altération de la conscience et des troubles du mouvement. Dans le grade 5, on observe des manifestations d’anaphylaxie particulièrement sévères, avec une insuffisance respiratoire aiguë qui confine à l’arrêt respiratoire, ainsi qu’une atteinte circulatoire majeure se traduisant par un choc authentique, jusqu’à l’arrêt cardiaque.
En urgence, aucune classification n’est vraiment utile
Dr Guillaume Pouessel
« Mais une anaphylaxie peut sembler sévère simplement parce qu’elle n’a pas été correctement prise en charge, avec des traitements inappropriés en termes de doses, de voie d’administration et de timing, par rapport au début des symptômes », explique le Dr Pouessel. La notion de sévérité pourrait donc reposer davantage sur le traitement administré que sur les symptômes eux-mêmes – ou sur l'hospitalisation ou non en réanimation. « Au-delà d’un certain nombre de doses d’adrénaline administrées, l’anaphylaxie doit être qualifiée de sévère, précise le Dr Pouessel. D’où l’émergence du concept d’anaphylaxie réfractaire. »
L’anaphylaxie réfractaire se caractérise par des symptômes persistant malgré une prise en charge adaptée. « C’est-à-dire, pour les cas d’anaphylaxie communautaire, l’administration d’adrénaline en première intention par voie IM », précise le Dr Pouessel. Des équipes anglaises, américaines et européennes ont récemment proposé diverses approches et définitions de la réaction réfractaire dans le contexte de l’anaphylaxie, en se reposant notamment sur le nombre de doses d’adrénaline administrées. Le Consortium américain pour la recherche sur les allergies alimentaires (Cofar) retient la perfusion IV d’adrénaline ou plus de trois injections d’adrénaline IM, et les symptômes des voies respiratoires inférieures associés à un besoin d’oxygène supplémentaire (sensation de gorge serrée avec stridor, sifflements, oppression thoracique, dyspnée ou toux), la résistance au traitement bronchodilatateur à courte durée d’action (y compris une nébulisation continue d’albutérol), l’insuffisance respiratoire nécessitant un support mécanique, la baisse de la pression artérielle associée un dysfonctionnement des organes (comme une hypotonie et une syncope).
« Peut-être que, pour parvenir à un consensus, nous pourrions dire que l’anaphylaxie est réfractaire lorsque, malgré l’administration de plus de deux injections d’adrénaline, les symptômes sévères ne sont pas rapidement résolus », résume le Dr Pouessel.
Marqueur d’une aggravation inéluctable
Au-delà de deux injections, la situation est rare et exceptionnelle et nécessite une réaction rapide. « C’est le marqueur d’une aggravation inéluctable, jusqu’à ce que le contrôle soit établi par une gestion appropriée, comprenant un remplissage vasculaire adéquat (une extravasation sanguine peut rapidement survenir, entraînant une perte significative de volume circulant, et pouvant dépasser la masse sanguine totale en quelques dizaines de minutes, surtout dans les cas sévères) et une transition vers l’adrénaline IV. Cette dernière intervention est associée à des effets secondaires potentiels et nécessite un monitoring minutieux par des professionnels compétents », souligne le Dr Pouessel. En attendant une assistance experte, il est recommandé de continuer l’administration d’adrénaline par voie intramusculaire toutes les 5 à 10 minutes tant que la situation n’est pas stabilisée.
Prévoir reste difficile
À ce stade, « prédire le risque d’anaphylaxie sévère reste difficile », reconnaît le Pr Antoine Deschildre, pédiatre pneumo-allergologue au CHU de Lille. Certains facteurs tels que le mauvais contrôle de l’asthme ont été identifiés, mais avec un faible niveau de preuve (4), de même que pour des cofacteurs (effort physique, activation immunitaire), des médicaments (IEC, bêtabloquants) ou encore des phénotypes (sensibilisation isolée à une LTP, APLV persistante). « Une chose est sûre à ce stade : les antécédents ne sont pas prédictifs d’une réaction sévère future, souligne le spécialiste. De plus, le diagnostic d’asthme et la sensibilisation (y compris aux allergènes moléculaires ou au test d’activation des basophiles) ne sont pas suffisants pour prédire le risque d’anaphylaxie. »
(1) Ramsey NB, et al. J Allergy Clin Immunol Pract. 2019 Sep-Oct;7(7):2241-49
(2) Pouessel G, et al. Allergy. 2018 Sep;73(9):1902-5
(3) Guerci P, et al. Br J Anaesth. 2020 Dec;125(6):1025-33
(4) Turner PJ, et al. Allergy. 2022 Sep;77(9):2634-52
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