L’objectif ultime de la prise en charge de la maladie de Crohn est de modifier l’histoire naturelle de cette maladie inflammatoire chronique, afin de prévenir l’apparition de complications (sténoses, fistules…) et une évolution invalidante. Une ambition qui passe par le contrôle de l’inflammation digestive : la cicatrisation muqueuse. « L’arsenal thérapeutique s’est récemment enrichi et permet un contrôle des formes résistantes. Par ailleurs, on sait maintenant qu’il faut une introduction précoce d’un traitement efficace, qui sera réévaluée et ajustée régulièrement en fonction des signes objectifs d’inflammation (endoscopie, calprotectine fécale, échographie ou IRM intestinale) : c’est la stratégie du traitement ciblé treat to target », rappelle le Pr Guillaume Bouguen (CHU Pontchaillou, Rennes).
Anti-TNF en première ligne
« L’introduction d’une biothérapie doit être précoce, comme le soulignent les recommandations américaines et, prochainement, les recommandations françaises. Le traitement sera en effet d’autant plus efficace qu’il n’y aura pas eu de complications », insiste le Pr Bouguen.
Le choix du traitement se fait en fonction de plusieurs critères : le rapport bénéfices-risques, le mode d’administration – qui peut conditionner l’acceptabilité par le patient –, les critères de sévérité de la maladie, les manifestations extra-intestinales, les traitements antérieurs et le remboursement.
« En France, les deux seules molécules remboursées en première ligne après échec des traitements conventionnels et/ou immunosuppresseurs sont les anti-TNF-α (infliximab et adalimumab), qui présentent globalement la même efficacité, avec une préférence pour l’infliximab en cas de lésions anales.
Dans certains pays, d’autres biothérapies peuvent être prescrites en première intention (anti-interleukines, anti-intégrine). Cette option de séquençage thérapeutique pourrait offrir un avantage en termes de balance bénéfices-risques, mais également être plus pertinente, car l’efficacité de ces molécules diminue lorsqu’elles sont utilisées après échec d’un anti-TNF », fait remarquer le spécialiste.
Analyse pharmacocinétique avant ajustement
En cas de perte de réponse d’un anti-TNF pendant la phase d’entretien, la mesure de concentration plasmatique du médicament et des anticorps anti-médicament peut aider au choix de la biothérapie à utiliser en deuxième ligne. « La production d’anticorps anti-médicament concerne environ 30 % des patients sous adalimumab et 50 % des patients sous infliximab », indique le Pr Bouguen.
Selon les résultats de la pharmacocinétique, on peut distinguer trois cas :
- En présence d’anticorps anti-médicament et avec des taux plasmatiques bas, la stratégie consiste à changer d’anti-TNF et de l’associer à un immunosuppresseur (MTX ou azathioprine).
- En l’absence d’anticorps anti-médicament et avec des taux plasmatiques bas, il convient d’augmenter la dose d’anti-TNF.
- En cas de non-réponse primaire, ou de perte de réponse avec une concentration plasmatique adéquate, il faut changer de classe thérapeutique.
On essaie toujours de trouver la molécule la plus efficace, le plus rapidement possible, pour éteindre l’inflammation
Pr Bouguen
Pas de facteur prédictif de réponse
Tous les médicaments disponibles dans la maladie de Crohn sont autorisés et remboursés en France dès la deuxième ligne : les deux anti-TNF, l’anti-IL-12/23 (ustékinumab), l’anti-intégrine (védolizumab) et l’anti-JAK (upadacitinib). Le risankizumab (anti-IL-23) devrait être disponible très prochainement. « Il n’existe actuellement aucun facteur prédictif individualisé de réponse au traitement. Le choix se fait en fonction des critères classiques (efficacité, tolérance, acceptabilité, caractéristiques liées au patient ou à la maladie, expositions antérieures, comorbidités…) », explique le Pr Bouguen. Le védolizumab et l’ustékinumab sont en général bien tolérés.
« On essaie toujours de trouver la molécule la plus efficace, le plus rapidement possible, pour éteindre l’inflammation. Dans certains cas, on peut préférer l’anti-IL-12/23 en termes d’efficacité et d’acceptabilité. Et demain, lorsqu’il sera disponible, l’anti-IL-23, qui semble plus efficace que l’anti-IL-12/23. Il apparaît aussi que, plus on avance dans les lignes de traitement, moins l’anti-intégrine est efficace », indique le Pr Bouguen.
La prescription de l’anti-JAK, administré par voie orale, doit se faire avec précaution chez les personnes âgées de plus de 65 ans, les fumeurs actuels ou anciens, en cas de risque thromboembolique, de cancer ou d’événements cardiovasculaires majeurs. « En revanche, l’upadacitinib peut présenter un intérêt lorsque le patient présente un rhumatisme inflammatoire associé (spondyloarthrite axiale), ou s’il est atteint de manifestations extra-intestinales (lésions anales) », ajoute le Pr Bouguen.
Des questions en suspens
« Il n’y a actuellement que très peu d’études comparatives entre les différentes molécules et cela nous serait utile, souligne le spécialiste. Par ailleurs, des études sont en cours pour évaluer d’éventuelles associations entre différentes classes thérapeutiques. Enfin, une autre question reste ouverte : après plusieurs années d’une maladie en rémission profonde, peut-on diminuer le traitement, voire l’arrêter ? »
Entretien avec le Pr Guillaume Bouguen (Rennes)
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