La population est encore loin d’être totalement vaccinée contre le papillomavirus, une grande famille constituée de plusieurs génotypes dont certains, comme les 6 et 11, sont responsables de condylomes, tandis que d’autres, comme les 16 et 18, sont à haut risque oncogène dans des localisations comme l’anus, le col de l’utérus, la vulve, le vagin, mais aussi la sphère ORL.
« 80 % des personnes rencontreront transitoirement un papillomavirus au cours de leur vie, c’est un simple marqueur d’activité sexuelle, rassure la Dr Isabelle Etienney, cheffe du service de proctologie du GH Diaconesses-Croix-Saint-Simon, à Paris. Le problème réside dans la persistance d’une infection par un HPV de haut risque, constatée chez un faible nombre de personnes, les exposant à des lésions intraépithéliales, dont certaines peuvent, avec le temps, progresser vers un cancer, tandis que d’autres régresseront spontanément. »
2 000 cas par an
On dénombre environ 2 000 nouveaux cas par an en France de cancers de l’anus, principalement des carcinomes épidermoïdes. Le risque de progression des lésions de haut grade vers un cancer dépend de la durée de leur persistance et de la taille des lésions. Des méta-analyses, en particulier chez les individus les plus à risque, ont montré qu’environ 1 patient sur 400 avec une lésion de haut grade évolue vers un cancer de l’anus. « Ce risque varie probablement entre 4 % et un maximum de 10 %, ce qui reste moins élevé que pour les lésions du même type du col de l’utérus, souligne la Dr Etienney. Nous avons aussi montré que près de la moitié des lésions intraépithéliales de haut grade régressaient spontanément, surtout lorsque celles-ci étaient de petite taille à l’anuscopie de haute résolution, et uniques. Quand, au contraire, les lésions macroscopiques ont un risque plus élevé de progression, comme le montre notre étude Apaches (1), ainsi que la publication américaine Anchor (2). »
La moitié des lésions de haut grade régressent spontanément
« Toutefois, tempère la spécialiste, dans une étude menée par notre service (3), le délai de progression vers le cancer reste similaire, que les lésions soient micro- ou macroscopiques, suggérant que certaines peuvent être agressives dès le départ. »
Ciblage des populations à risque
Les gastro-entérologues se trouvent en première ligne face à des patients symptomatiques qui n’ont pas été vaccinés, généralement des femmes entre 55 et 65 ans, mais aussi des personnes vivant avec le VIH, dont le risque est 30 fois plus élevé de développer un cancer de l’anus par rapport à la population générale, et 100 fois plus quand ils ont également des rapports sexuels avec des hommes (HSH), soit une incidence de l’ordre de 100/100 000, versus 1 à 4/100 000 dans la population générale.
« Sur la base de ces constats, il a été décidé de proposer un dépistage ciblé pour les populations les plus à risque de cancer de l’anus », explique la Dr Etienney, coautrice des premières recommandations françaises pour le dépistage du cancer de l’anus et des lésions anales précancéreuses (4). Il s’agit en premier lieu des HSH vivant avec le VIH âgés de plus de 30 ans, des femmes transplantées rénales ou d’organes solides depuis plus de dix ans, des femmes ayant des antécédents de lésions intraépithéliales de haut grade ou de cancer vulvaire lié au HPV, quelle que soit leur sérologie VIH. « Il est envisagé d’élargir ce dépistage aux femmes infectées par le VIH, particulièrement celles ayant eu des lésions du col de l’utérus. Par ailleurs, tous les patients présentant des symptômes doivent subir un examen proctologique comprenant une anuscopie standard », note la spécialiste.
Génotypage de l’HPV-16
En pratique, il est proposé de réaliser une recherche d’HPV-16 tous les cinq ans dans les groupes à très haut risque, suivie, en cas de positivité, d’un examen clinique et d’une cytologie anale. Sa sensibilité pour la détection des lésions de haut grade (> 80 %) dépasse celle de l’examen proctologique avec anuscopie standard.
En présence d’anomalies cytologiques et/ou de lésions et en cas de suspicion de dysplasie à l’examen clinique, une anuscopie haute résolution est indiquée, « mais cet examen est encore peu disponible sur le territoire français », note la Dr Etienney. Il existe une mauvaise corrélation entre le grade des lésions découvertes par cytologie et celui des lésions confirmées par biopsie lors d’une anuscopie haute résolution. L’immunomarquage peut être un outil précieux pour affiner le diagnostic et orienter la prise en charge, au moyen de la protéine p16, marqueur utilisé en immunohistochimie pour aider à distinguer lésions de bas et de haut grades.
L’étude randomisée Anchor (2) a montré, chez 4 000 patients infectés par le VIH et présentant des lésions de haut grade, que traiter ces lésions réduisait de 57 % le risque de progression vers le cancer. « Trente cancers ont été observés, précise la spécialiste, alors que l’on en aurait attendu 40 sans traitement, sur une période de suivi de un à quatre ans. Traiter les lésions de haut grade chez ces populations à risque réduit donc considérablement le risque de progression vers le cancer. Mais cela nous permet aussi de relativiser le risque de cancer au sein de cette population à très haut risque. »
Mise à niveau des laboratoires
Le dépistage n’est pas encore uniformément mis en place en France. « Contrairement à celles disponibles pour le cancer du col de l’utérus, les trousses utilisées par les différents laboratoires pour détecter le HPV-16 ne présentent pas toutes les mêmes capacités de détection et leur performance clinique reste encore mal connue », prévient la Dr Etienney, qui insiste : « Le génotypage spécifique du HPV-16 est indispensable : l’analyse ne doit pas se limiter à la détection d’un “HPV haut risque” ».
Entretien avec la Dr Isabelle Etienney (Paris)
(1) Alberts CJ et al. J Infect Dis. 2020 Apr 7;221(9):1488-93
(2) Palefsky JM et al. N Engl J Med. 2022 Jun 16;386(24):2273-82
(3) Combes JD et al. J Infect Dis. 2024 Jul 25;230(1):55-60
(4) Spindler L et al. Tech Coloproctol. 2024 Jan 10;28(1):23
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