La mucosectomie fragmentée, technique de référence pour la résection des polypes du côlon de plus de 20 mm, consiste à découper, avec une anse, les gros polypes en petits fragments jusqu’à obtenir une résection complète. Au contraire, la dissection sous-muqueuse les retire d’un bloc, avec des marges saines, en utilisant un bistouri électrique miniaturisé introduit dans le canal opérateur du coloscope. C’est le Japon qui a ouvert cette voie. Jusqu’à peu, cette technique était jugée trop complexe et trop lente pour être réalisée ailleurs dans le monde.
Une expertise nationale
Mais la France a suivi, grâce à un collectif de chercheurs qui viennent de publier dans les meilleurs résultats en la matière jamais relevés dans le monde (1). Le Dr Timothée Wallenhorst (CHU Rennes) et les Prs Mathieu Pioche (CHU Lyon) et Jérémie Jacques (CHU Limoges), qui en font partie, racontent : « La Société française d’endoscopie digestive (SFED), sous l’impulsion du Pr Stanislas Chaussade, a confié aux Prs Pioche et Jacques la création d’un cursus de formation à la dissection sous-muqueuse, pour des gastro-entérologues ayant déjà bénéficié d’une longue formation à la caractérisation, afin de reconnaître quels types de lésions peuvent ainsi être enlevés. Cette formation dure au minimum un an, gage de bons résultats, avec un accompagnement par un tuteur expert national de la procédure. L’objectif est de maintenir l’expertise française tout en démocratisant la technique et de proposer un bon maillage territorial pour la rendre accessible à toute la population ».
Un taux de récidive plus faible
L’étude publiée dans Annals of Internal Medicine, qui a porté sur 360 patients, a comparé la dissection sous-muqueuse de polypes bénins du côlon (hors rectum) de plus de 25 mm à la mucosectomie fragmentée, qui était jusqu’à présent la technique de référence.
« Le résultat peut-être le plus important de cette étude est qu’aucun patient n’a nécessité de chirurgie pour échec de l’une ou l’autre technique, alors qu’au moins encore 20 % des polypes de grande taille sont encore traités par chirurgie (ce qui est plus morbide et plus coûteux) », soulignent les trois spécialistes.
Aucun patient n’a nécessité de chirurgie pour échec
Ce travail révèle que les résultats de la dissection sous-muqueuse sont au moins aussi bons, avec un taux de récidive encore plus faible (0,6 vs 5,1 % pour la mucosectomie fragmentée). « Ce qui souligne que, quand la technique de dissection sous-muqueuse est maîtrisée, la technique de mucosectomie fragmentée l’est aussi, avec des résultats similaires aux meilleurs résultats publiés, par les Australiens », notent-ils.
Moins de coloscopies de surveillance
Grâce à la résection en bloc en marges saines qu’apporte la dissection sous-muqueuse, on limite le besoin de faire des coloscopies de surveillance. À l’inverse, après mucosectomie fragmentée, il n’y a pas de critère pour prédire qui va récidiver, ce qui nécessite de contrôler tous les patients traités : les recommandations mondiales préconisent ainsi de faire des coloscopies de contrôle fréquentes à 6, 18 et 36 mois, « alors qu’avec une dissection sous-muqueuse, qui réalise une résection complète du polype en marge saine, on a 0 % de récidive, permettant le plus souvent une surveillance à trois ans », préconisent les gastro-entérologues. Ce qui n’est pas négligeable pour les patients, qui ne souhaitent guère multiplier les coloscopies, sans compter le risque de perdus de vue.
Enfin, concernant les taux de complications (perforations, saignements), l’étude a montré qu’ils étaient comparables entre les deux techniques. Il n’y a donc pas de surmorbidité de la dissection sous-muqueuse. Seule la procédure est plus longue : en moyenne 47 minutes, vs 15, pour une même durée d’hospitalisation (une nuit).
La chirurgie ne doit plus être l’option prioritaire pour les polypes de grande taille
La résection en endoscopie par les gastro-entérologues français a ainsi montré, depuis plusieurs années, des résultats d’excellence sur le plan international. « Tout polype de grande taille doit donc désormais être référé en avis, à un référent régional gastro-entérologue*, pour savoir s’il est accessible à une résection endoscopique, et non pas adressé d’emblée à la chirurgie, car aujourd’hui ce n’est plus acceptable ! », concluent les trois spécialistes.
Un modèle français unique
Depuis quatre ans, 16 gastro-entérologues ont été formés chaque année dans notre pays. Actuellement, une centaine de gastro-entérologues français font de la dissection sous-muqueuse à bon niveau. « Cette formation intéresse aussi des médecins étrangers, pour apprendre sur les modèles développés en France afin de les exporter dans leurs pays respectifs », soulignent les experts.
* Liste des référents régionaux en préparation sur le site de la Société française d’endoscopie digestive, www.sfed.org
(1) Jacques J et al. Ann Intern Med. 2024 Jan;177(1):29-38
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