On compte 40 000 à 45 000 nouveaux cas de cancers colorectaux chaque année dans notre pays, dont environ la moitié va développer des métastases hépatiques. Lorsqu’elles sont peu nombreuses, une résection chirurgicale est proposée, avec un taux de survie à 5 ans de l’ordre de 40 %. Parmi celles non opérables d’emblée, mais qu’une chimiothérapie rend résécables, le taux de survie à 5 ans est de l’ordre de 30 à 35 %. Mais il reste 70 à 80 % de patients avec des métastases hépatiques qui ne sont ni résécables d’emblée, ni après chimiothérapie : « Pour eux, la chimiothérapie a permis des progrès dans la survie à court et moyen termes, mais seulement 5 à 10 % sont encore vivants à 5 ans. Aujourd’hui, l’essai Transmet acte que, sous réserve d’une bonne sélection, chimiothérapie et transplantation hépatique font mieux chez ces malades que les chimiothérapies seules », indique le Pr René Adam (CHU Paul-Brousse, Villejuif et univ. Paris-Saclay), directeur général de l’European Liver Transplant Registry (ELTR).
Meilleure sélection des candidats
Après son échec dans les années 2000 en raison de résultats très insuffisants (survie à 5 ans de 18 %), la transplantation a été reconsidérée au vu des progrès dans l’expertise de la greffe et d’une meilleure sélection des candidats. « Les premiers essais ont eu lieu en 2010 en Norvège, où il n’y a pas de pénurie de donneurs : nous avons obtenu des taux de survie de 60 % à 5 ans chez des malades avec des métastases hépatiques colorectales définitivement non résécables », rappelle le spécialiste.
Pour valider l’idée que la transplantation combinée à la chimiothérapie (C + LT) pouvait faire mieux que les chimiothérapies seules (C), l’essai Transmet a été initié en France. Les patients présentant des métastases hépatiques de cancer colorectal définitivement non résécables (uCLM), non mutées Braf, répondant à la chimiothérapie (> 3 mois, ≤ 3 lignes) et sans maladie extra-hépatique ont été soumis à un comité d’experts indépendant (oncologues, chirurgiens et radiologues) et assignés au hasard pour recevoir C + LT ou C seule. Ce comité devait valider l’indication proposée par les réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) des centres de transplantation hépatique français, auxquels se sont joints quatre centres belges et deux centres italiens. Le critère d’évaluation principal était la survie globale à 5 ans.
Une collaboration européenne
De 2016 à 2021, l’étude a randomisé 94 patients sur les 157 proposés par les RCP. Parmi eux, 47 ont bénéficié de C + LT, et 47 de C seule. Les résultats, rapportés au congrès de l’American Society of Clinical Oncology (Asco), ont montré un taux de survie à 5 ans en intention de traiter de 57 % dans le groupe C + LT, vs 13 % dans le groupe C. « Sur les 47 malades du groupe transplantation, 9 n’ont pas été transplantés, 2 l’ont été en progression tumorale ; dans le groupe chimiothérapie, 9 ont été réséqués ou transplantés hors protocole, précise le Pr Adam. En per protocole, les taux de survie à 5 ans ont été de 73 % pour les 36 patients réellement transplantés, vs 9 % pour les 38 patients avec C seule. Dans le groupe transplantation, 15 malades, soit 42 % des patients de ce groupe, sont actuellement vivants sans récidive, avec un suivi moyen de 58 mois alors que c’est le cas d’un seul patient (3 %) dans le groupe C seule. »
73 vs 5 %
C’est le taux de survie des patients transplantés, soit des résultats du même ordre que ceux observés dans les transplantations pour maladies bénignes
Des résultats qui vont changer la pratique
« Ces bons résultats ont pu être obtenus grâce à une très bonne sélection des patients (maladie en complète stabilisation, voire en régression sous chimiothérapie) et à une priorisation obtenue de l’Agence de la biomédecine pour éviter que la maladie ne progresse en liste d’attente, explique le Pr Adam. Sachant que 73 % de survie à 5 ans, c’est ce que l’on observe quand on transplante des malades avec des maladies bénignes ; voilà qui valide cette nouvelle indication de transplantation par rapport à l’ensemble des autres indications reconnues. »
La collaboration de l’Agence de la biomédecine a été cruciale pour éviter que la maladie ne progresse en liste d’attente
Pr René Adam
Aujourd’hui, environ 1 300 transplantations hépatiques sont réalisées chaque année en France, pour une affection non cancéreuse dans les deux tiers des cas, et pour des maladies cancéreuses primitives du foie ou dans les voies biliaires pour le reste.
Les patients inclus et transplantés de 2016 à 2021 dans le cadre de l’étude Transmet ne représentent que 1 à 2 % des malades transplantés, toutes causes confondues. « On est donc loin d’un raz-de-marée dans la capture des indications de transplantations, rassure le Pr Adam. Les organes étant rares, il faut bien les réserver aux patients qui vont en profiter. Mais, avec 73 % de survie à 5 ans, on ne peut plus éthiquement se poser la question pour nos patients avec un cancer colorectal et des métastases hépatiques. La possibilité du donneur vivant proche du malade, qui donnerait une partie de son foie avec un résultat équivalent, voire meilleur à ceux des donneurs décédés, peut d’ailleurs être envisagée. »
Entretien avec le Pr René Adam (Villejuif)
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