Prévention, dépistage, etc. Les missions de santé publique ne sont pas nouvelles pour les généralistes. La crise sanitaire a néanmoins placé les questions de santé publique au cœur des débats. Questionnant aussi la place de l’omnipraticien, entre approche collective et prise en charge individuelle.
Éducation et sensibilisation autour des gestes barrières, dépistage du Covid-19, prévention par la vaccination mais aussi rattrapage des retards de dépistage des autres pathologies, surveillance des indicateurs épidémiologiques, alertes autour de la santé mentale, questions éthiques face aux décisions prises… Les sujets, directement ou indirectement liés à la crise sanitaire, n'ont pas manqué en 2021, mettant ainsi la santé publique sous le feu des projecteurs.
Et les médecins généralistes ont été en première ligne pour diffuser ces messages auprès de leurs patients, répondre à leurs sollicitations et questionnements… « Une des spécificités de la médecine générale est sa capacité à s’adapter à des problématiques nouvelles. Je suis de la génération qui a connu le VIH et maintenant le Covid-19. Quand nous sommes confrontés à une nouvelle pathologie à laquelle nous ne connaissons pas encore grand-chose, pour laquelle il n’y a pas de traitements, nous nous organisons », témoigne le Pr Serge Gilberg, professeur émérite de l’université de Paris, et vice-président du Collège de la médecine générale (CMG).
Et plus particulièrement concernant l’approche et les actions de santé publique qui, pourtant, ne sont pas nouvelles, comme il le note : « Si, il y a 25-30 ans, les missions de la médecine générale concernaient essentiellement le soin, la santé publique s’est depuis intégrée à notre pratique. » Il rappelle d’ailleurs la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires) de juillet 2009, qui a « introduit dans les missions des médecins généralistes celle de la santé publique avec la prévention, l’éducation à la santé… ».
Systématiser une approche de santé publique
Président du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) depuis 2017 et pilote d’une mission sur la refondation de la santé publique (voir encadré), Franck Chauvin observe « un mouvement de la médecine générale vers la santé publique extrêmement important et rapide ».
Un mouvement qui se traduit au jour le jour dans les cabinets. Et le Pr Gilberg en témoigne : « En dehors des crises, il faut profiter des opportunités de consultations pour mener des actions. Quand nous recevons une personne dans une tranche d’âge donnée, nous pouvons proposer de dépister certains cancers, vérifier le statut vaccinal… Et nous pouvons discuter de troubles du comportement, de conduite à risque… C’est une grande différence entre le médecin généraliste et un centre de soins non programmés qui s’intéresse essentiellement à la plainte. »
Il cite l’exemple de la prévention du suicide des jeunes : « Des études montrent qu’une proportion importante des jeunes étant passé à l’acte avait consulté un médecin avant. Elles rapportent que le médecin n’a pas abordé la question mais que si ça avait été le cas, les jeunes se seraient confiés. De même, sur la prévention des violences, j’observe que les jeunes générations d’internes ont, pour beaucoup, pris l’habitude de poser la question systématiquement, et des choses leur sont rapportées. »
Cette approche systématique, Franck Chauvin appelle à la renforcer en s’inspirant de pays comme le Royaume-Uni : « Ils ont engagé ce changement en s’appuyant sur des campagnes de communication pour que chaque contact avec un professionnel de santé soit l’occasion de repérer les facteurs de risque et les déterminants de santé et d’engager une action. En France, nous allons préconiser ce type d’intervention, y compris en médecine générale, notamment dans les modes d’exercice collectifs », citant les CPTS, MSP… qui sont, selon lui, « une des conditions de réussite ». Des organisations vues également comme des points positifs de la politique de prévention sanitaire par la Cour des comptes dans un rapport publié le 1er décembre.
Donner des moyens aux généralistes
Dans ce même document, l’instance juge sévèrement « l’organisation des soins primaires en France et leur mode de rémunération », qui constitueraient « des obstacles de taille au déploiement de la prévention ». La Cour des comptes pointe ainsi que « la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) peut, dans son principe, aider à décliner efficacement la stratégie nationale de santé. Toutefois, cet outil reste encore trop marginal et la place des indicateurs de santé publique trop réduite dans la rémunération globale des médecins. »
Sur la Rosp, Franck Chauvin souligne qu’elle doit être fondée sur des indicateurs pour lesquels des manques existent. « Par exemple, il n’y a pas de référentiel des pratiques cliniques préventives. C’est un travail à mener avec les sociétés savantes. Nous percevons vraiment une volonté de beaucoup de partenaires pour engager cette évolution. »
Et le Pr Gilberg le rappelle : « Ces actes ne sont pas reconnus. Il y a bien de petites choses qui existent dans le cadre de la Rosp mais ça ne suffit pas. Beaucoup de confrères plaident pour des consultations de prévention à des âges fixés, des moments donnés de la vie avec une fréquence à déterminer. »
Renforcer la formation et la recherche
Le vice-président du CMG mentionne également les évolutions de la formation. Celle, initiale, aborde aujourd’hui les compétences autour de la prévention et de l’éducation à la santé. Il y a aussi des séminaires sur la prévention, l’alcoolisme, le tabac… dans le cadre du DPC. Là encore, Franck Chauvin propose d’aller plus loin. « Nous sentons une appétence des médecins généralistes enseignants. Il y a des précurseurs et beaucoup de discussions autour des parcours, des déterminants de santé. Nous devons faire un effort de formation important pour conforter le cadre dans lequel ces projets sont menés. Nous avons besoin d’un cadre théorique de ce type d’actions. »
Le Pr Gilberg se félicite également de l’augmentation de la recherche autour des sujets de santé publique pour la médecine générale, afin de disposer « d’outils et méthodes plus adaptés ». Une demande qui rejoint les recommandations de Franck Chauvin. « Une partie du travail qu’il nous reste à faire entre santé publique et médecine générale est de trouver des modes d’intervention qui permettent de mixer approche populationnelle et approche individuelle. Il faut leur donner les outils pour ces interventions », conclut Franck Chauvin.
Premières pistes de la mission sur la refondation de la santé publique
Si la santé publique a pris plus d’importance pendant la crise sanitaire, cette dernière a aussi révélé les lacunes du système français. « Cette crise a mis sous tension l’ensemble du système de santé, aussi bien le système de soins que le système de santé et de santé publique », constate Franck Chauvin, président du HCSP. Il a d’ailleurs été chargé par Olivier Véran d’une mission de refondation de la santé publique dont le rapport devrait être rendu d’ici la fin de l’année.
« Il s’agit de voir comment faire évoluer notre système de santé publique pour qu’il réagisse mieux en période de crise et qu’en période plus calme, nous ayons une santé publique plus efficace, plus efficiente et qui permette de répondre aux grands enjeux », confie le président du HSCP.
Avant de détailler ces grands enjeux : « D’abord, l’espérance de vie sans incapacité. En France, nous avons une très bonne espérance de vie mais une espérance de vie sans incapacité médiocre. Ensuite, la lutte contre les déterminants de santé, car nous savons que le système de soins contribue pour un quart dans la santé d’une population. Le reste ce sont des déterminants extérieurs. Enfin, la lutte contre les maladies chroniques alors que leur rythme de croissance est de plus de 2 % par an actuellement ».
Il appelle ainsi à mettre en place une action « intersectorielle », qui passe autant par la politique de santé que par celles du logement, de l’éducation, de la jeunesse et des sports… Et ainsi à faire de la santé « une composante de toutes les politiques ».