Si la France a longtemps été pionnière dans la lutte contre la douleur avec trois plans dédiés successifs, la dynamique s’est essoufflée depuis. Et, en dépit d’un maillage territorial en centres douleur parmi les plus denses au monde – 277 structures dédiées (consultations, centres et permanences) –, l’amélioration de la prise en charge des patients douloureux en France reste une urgence : plus de 70 % des douloureux chroniques ne reçoivent pas de traitement approprié et moins de 3 % bénéficient d’une prise en charge spécifique dans un centre spécialisé. Ceci est dû à la fois à un défaut d’adressage des douloureux complexes qui en relèvent vraiment, mais également à l’embolisation de ces structures par des patients pour lesquels une prise en charge en soins courants suffirait. D’où des délais très longs de consultation en centre expert – entre 3 et 6 mois.
« Le parcours de soins du patient douloureux est en grande partie un échec, déplore Valéria Martinez, la nouvelle présidente de la Société française d’étude et traitement de la douleur (SFETD). Chaque jour, je ne peux que constater que les patients parviennent jusqu’à un centre de lutte contre la douleur après une grande errance thérapeutique. Ils ont, pour la plupart, consulté de manière réitérée et erratique des spécialistes d’organe qui n’appréhendent pas le patient dans sa globalité, au risque de se voir prescrire des examens de plus en plus poussés, voire des traitements ou des chirurgies inutiles. Or la douleur chronique est une maladie qui ne peut s’envisager que globalement et seule la prise en charge précoce permet de limiter le risque de chronicisation. »
Plaidoyer pour une meilleure prise en charge en amont
Selon le Dr Sophie Laurent, responsable du Centre d'évaluation et de traitement de la douleur (CETD) de l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif), « la douleur chronique et ses risques de chronicisation devraient pouvoir être identifiés encore plus en amont et traités par les généralistes et les confrères d’autres spécialités, afin que n’accèdent aux structures douleur chronique que les patients souffrant de douleurs complexes ». Le Pr Serge Perrot, directeur du CETD du groupe hospitalier Cochin-Hôtel-Dieu (Paris), partage cet avis. « Impliquer les acteurs de premier recours, en premier lieu les généralistes, est une nécessité, insiste-t-il. Encore faudrait-il que la consultation douleur en médecine générale soit considérée comme une consultation “complexe”, et cotée comme telle. » Et que des efforts soient faits en matière de formation. « Sur les six premières années d’études médicales, moins de 20 heures de cours sont officiellement consacrées à la douleur », a-t-il comptabilisé. La réforme du deuxième cycle devrait améliorer les choses « mais elle reste timide », déplore le Pr Valéria Martinez.
Certains regrettent aussi un nombre encore insuffisant de structures douleur (et des zones géographiques non couvertes), d’autant que « 30 % d’entre elles sont menacées dans les cinq ans à venir du fait des départs à la retraite », précise le Pr Martinez. Cependant, « démultiplier les structures dédiées n’est pas la solution, assure le Dr Laurent. Il faudrait plutôt assouplir leur organisation et leur permettre une offre diversifiée afin de se rapprocher de la ville. Les médecins traitants doivent pouvoir y recourir facilement, à la fois pour l’adressage des patients, mais également en télé-expertise comme l’a montré la pandémie. »
Signe que la problématique a été entendue, la Haute Autorité de la santé (HAS) devrait publier, en collaboration avec la SFETD et le Collège de la médecine générale, un guide dédié au parcours de soins du patient douloureux chronique dans le courant du premier trimestre 2022. Celui-ci devrait préconiser des mesures pour améliorer le parcours patient avec, entre autres, un meilleur fléchage des trois niveaux de recours (la ville, les consultations douleur et les centres douleur) et la création d’une fiche pour un adressage facilité, avec une aide pour mieux expliciter les attentes du médecin adresseur (degré d’urgence, demande d’expertise ou de thérapeutique particulière, etc.) et faciliter les coupe-files si besoin.
À quand un 4e plan douleur ?
Par ailleurs, « signe politique fort, Olivier Véran a ouvert notre colloque lors de la Journée mondiale contre la douleur, se félicite Valéria Martinez. Nous faisons entendre notre voix auprès de la HAS et avons obtenu un soutien parlementaire avec une résolution de propositions qui devrait passer dans une niche parlementaire au début du mois de février 2022. » L’objectif est qu’un plan ou un programme Douleur voie rapidement le jour. La SFETD a fixé trois axes prioritaires : le parcours patient hôpital-ville, mais aussi la sensibilisation de la population et un axe dirigé vers les patients les plus vulnérables.
Les avancées thérapeutiques se poursuivent
Malgré un parcours de soins dysfonctionnant, les avancées médicales se poursuivent. « Il y a dix ans, la douleur neuropathique (DN) était peu connue, se souvient le Pr Martinez, mal traitée car non diagnostiquée. Les progrès ont facilité cette connaissance, en particulier les patchs de capsaïcine et la toxine botulique dans la DN localisée ».
Par ailleurs, les techniques de neuromodulation se perfectionnent avec la stimulation magnétique transcrânienne, « qui s’affine de plus en plus dans ces indications et ces protocoles », ainsi que la neurostimulation médullaire, « qui procure des soulagements importants chez les douloureux chroniques sévères ».
Les progrès sont également du côté de la radiologie interventionnelle avec la spécialisation de certains radiologues dans l’algoradiologie et un usage croissant de la technique (infiltrations, neurolyse des ganglions cœliaques, douleurs abdominales de cancer du pancréas non opérable…).
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