Le 190 pourrait ressembler à n’importe quel autre centre de santé parisien. Pourtant, le nom indiqué sur la porte d’entrée affiche la couleur, la structure n’est pas un lieu de soins comme les autres : « centre de santé sexuelle ». Un « titre » qui, il y a près de 12 ans, à la naissance du 190, était inédit dans le paysage français, mais colle parfaitement à la définition de ce lieu et au projet porté par son fondateur et directeur médical, le Dr Michel Ohayon.
Il faut dire que pour ce généraliste de formation de 59 ans à la voix de stentor, la santé sexuelle a fait partie de son parcours professionnel dès le début.
« J’ai eu mon concours de première année en 1981. Je suis entré en médecine au moment de l’arrivée du sida. C’était la maladie des gays et je suis gay. Pour ma génération, dans le cadre de notre émancipation et notre quête d’identité, nous étions de jeunes médecins, le sida arrivait, donc on s’y intéressait », explique-t-il.
Malgré une activité « classique » de généraliste au début de son exercice dans les années 1990 à Lille, tout au long de sa carrière, la prise en charge du VIH a été présente. Dans des centres de dépistage, à Sida Info service, en consultations hospitalières… et, très tôt, il nourrit l’idée de créer un centre de santé gay. Ambition un peu folle qui deviendra finalement une réalité en 2010.
Décloisonnement et approche populationnelle
« J’ai toujours pensé qu’il y avait des spécificités à la santé gay. Je considérais aussi qu’on ne pouvait pas s’intéresser aux gens qui avaient le VIH sans s’intéresser à la sexualité et que celle-ci ne se limitait pas à la prévention ; la notion de santé sexuelle avait donc du sens », relate le Dr Ohayon.
L’évolution de l’épidémie et les changements de perspective sur le VIH vont également rendre encore plus pertinent le projet du médecin. « À partir du moment où une personne dépistée et traitée ne transmet plus le VIH, l’approche sur l’épidémie n’est plus simplement comportementale mais biomédicale. Il fallait inventer quelque chose qui n’existait pas. »
La philosophie du 190 a été de décloisonner, dans la lutte contre le sida, la prévention, le dépistage et le soin. « Pour que les progrès sur le plan biomédical puissent avoir un impact, il fallait non pas se concentrer sur la pathologie mais sur les populations. Le VIH est une épidémie ciblée, faire du tout public n’a aucun intérêt », estime-t-il.
Dépistage en fonction des pratiques et non des symptômes, « présomption » de sexualité pour les séropositifs, proposition du traitement universel et immédiat… Depuis sa création, le centre 190 sort souvent des sentiers battus et prend de l’avance.
« Nous avons une population homogène qui a des relations entre elle. Cela nous permet aussi de voir émerger des sujets qui, ailleurs, sont noyés dans la masse », souligne le Dr Ohayon.
Ce fut le cas notamment pour le méningocoque C, l’émergence du chemsex ou encore le #MeTooGay, relate le Dr Ohayon. Peut-être trop franc-tireur au goût de certains, le généraliste regrette que les pouvoirs publics ne tirent pas assez parti d’une expérience comme celle du centre 190. « Ils devraient se dire : nous avons un observatoire hallucinant sur ce qui se passe dans des micropopulations », martèle-t-il.
Permettre aux généralistes de s’investir
Si le parcours du Dr Ohayon en tant que généraliste peut être considéré comme atypique, ce n’est pas seulement parce qu’il a mené pendant quelques années, en parallèle de sa vie de médecin, une carrière de chanteur lyrique. Mais, même s’il reconnaît qu’il n’a pas un exercice classique, il se considère malgré tout encore comme généraliste. « Pour moi, la médecine générale est une approche, c’est un individu dans son histoire et son environnement et ça, c’est ce que je fais », confie-t-il.
Quant à ses confrères, s’il pense que la question de la sexualité devrait être plus présente dans le quotidien et la formation des généralistes, il estime qu’il n’y a pas non plus besoin d’avoir 60 000 spécialistes.
« Que tout le monde ne soit pas capable ou ne se sente pas compétent pour prendre en charge quelqu’un de séropositif, ce n’est pas très grave. Nous n’avons pas besoin que tous les généralistes soient les rois de la PrEP. Laissons la possibilité à ceux qui veulent s’investir l’opportunité de le faire et de primoprescrire la PrEP ou même les antirétroviraux, considère-t-il. En revanche, ce que tous les généralistes devraient éventuellement avoir, c’est le numéro de quelqu’un à appeler. »
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