LE QUOTIDIEN : Quelle a été la genèse de ce dispositif ?
Pr SÉBASTIEN GUILLAUME : En 2010, le suicide d’un anesthésiste montpelliérain [lire aussi encadré] a fortement mobilisé la communauté médicale et paramédicale. C’est en réponse à cette mobilisation que la direction générale et la CME (Commission médicale d’établissement) ont mis en place un dispositif de réflexion autour de l’accompagnement des soignants face à l’erreur médicale.
Le dispositif d’accompagnement des professionnels est l’une des mesures mises en place à la suite de cette phase de réflexion. D’autres pistes de travail ont aussi été suivies : analyse du cheminement et du suivi de l’erreur, incitation au signalement d’événements indésirables (par le biais de campagnes auprès des salariés), formation initiale et continue… À titre d’exemple, depuis la rentrée 2011, les facultés de Montpellier-Nîmes, Nice et Marseille ont mis en place un diplôme interuniversitaire sur la gestion de l’incident, l’accident et l’erreur médicale.
Le dispositif d’accompagnement est un projet commun de l’administration, des paramédicaux et des médecins. Il est piloté par un trinôme : une directrice des soins (Madame Maria Horwath), un administratif (Madame Emilie Garrido-Pradalié) et moi-même qui assure la coordination médicale en lien avec mon exercice de psychiatre. Nous disposons d’un indépendance totale vis-à-vis de l’administration et des instances disciplinaires qui ne sont pas informées de l’identité des personnes qui font appel à nous, ni du contenu des entretiens.
Quel est le but de ce dispositif d’accompagnement ?
Ce dispositif anonyme n’a pas comme finalité le signalement de l’incident, mais il a pour but l’accompagnement par ses pairs – hors du circuit administratif – d’un soignant en souffrance dans les suites d’une erreur médicale. Le dispositif est ouvert aux médecins, aux paramédicaux et de façon plus globale à toute personne qui travaille au CHU de Montpellier (récemment, un informaticien a été accueilli).
En pratique, un numéro de téléphone est accessible à toute personne qui se sent concernée par la problématique de l’incident lié aux soins et qui est en recherche d’aide ou d’écoute. Des campagnes d’information ont lieu régulièrement au sein du CHU et je veille moi-même à informer chaque nouvelle promotion d’internes sur ce dispositif. L’accès à l’aide par les pairs est tout à fait indépendant du signalement d’événements indésirables.
Une secrétaire formée aux techniques d’écoute répond à cette ligne dédiée et elle a pour mission de faire détailler la situation afin de s’assurer qu’elle entre bien dans le cadre du dispositif : erreur médicale ou incident lié aux soins et non souffrance au travail.
Cette secrétaire contacte ensuite la personne-ressource qui semble être le plus à même de répondre à l’appel et lui demande de rappeler le salarié pour convenir d’un rendez-vous.
Il est possible que la personne-ressource donne les coordonnées de certains professionnels (avocat, service juridique de l’hôpital…) mais c’est au demandeur de rentrer en contact s’il le souhaite avec ces personnes.
La personne-ressource débriefe ensuite avec le trinôme pour s’assurer, par exemple, que la situation a été bien prise en main et qu’il n’existe pas d’état suicidaire qui justifie une consultation avec un psychiatre.
Les 22 personnes-ressources volontaires sont des salariées du CHU : psychologues, IDE, informaticiens, médecins (toutes sensibilités médicales sauf la chirurgie), administratifs…
Elles ont été formées au dispositif en deux séminaires de 3 jours : techniques d’écoute, psychopathologie (repérer les difficultés qui nécessitent de réorienter vers un psychiatre ou un psychologue), aspects techniques et administratifs (cheminement de l’erreur médicale dans l’institution), place du service qualité, juridique…
Tous les six mois, des séminaires sont proposés aux personnes ressources afin de reprendre les situations passées dans les mois précédents et se reformer à des aspects particuliers psychothérapiques.
Quel est le bilan des premiers mois de fonctionnement du dispositif ?
Le dispositif a été mis en place début 2013. Depuis cette date, une quarantaine de salariés y ont fait appel. Leur nombre augmente régulièrement car les premiers retours ont validé cette approche et désormais, les soignants savent quelle aide rechercher auprès du dispositif.
Au début nous n’étions contactés que dans était des situations extrêmes : décès, conséquences graves… Ce n’est plus le cas maintenant : le dispositif a été apprivoisé par les soignants et ils savent qu’ils peuvent lui faire confiance car l’anonymat est respecté. Nous souhaitions qu’un nombre de plus en plus important de salariés adhérent à notre approche et nous sommes satisfaits de l’évolution de notre dispositif.
Article précédent
Quand un pilote de chasse devient formateur de robots chirurgicaux
Article suivant
Dr Marie-France Hirigoyen : « Il faudrait que les médecins acceptent leur vulnérabilité »
#silentnomore : pour lutter contre les patients abusifs
Est-ce une « chance » d’être médecin lorsque la maladie survient ? Plutôt non…
Colonel Laurent Melchior Martinez : soigner, mais aussi utiliser son arme si nécessaire
La prévention n’est pas toujours le fort des médecins
Leslie Grichy (SOS SIHP) : « L’internat, un moment clé »
L’AFEM, 70 ans d’assistance : « En 2013, 237 enfants de médecins ont bénéficié de nos aides »
Confrères dangereux : le dernier tabou
Dr Donata Marra : « Les problèmes que vivent les étudiants sont similaires à ceux de leurs aînés médecins »
La consultation « Souffrance du soignant », une initiative du Groupe Pasteur Mutualité
Les mémoires d’un neurochirurgien mort d’un cancer, numéro 1 des ventes aux États-Unis
Mettre en contact médecins et spécialistes de la santé au travail : la souffrance professionnelle prise aux MOTS
Pr Béatrice Crickx, Dr François Dima : décryptage des tontines, système d’aide confraternelle aux médecins en difficulté
L'entretien thérapeutique avec un patient agressif
Des thérapies d’acceptation et d’engagement (ACT thérapie) contre le burn out
Copilotes de la mission Fides (AP-HP) : « Le médecin est la profession la plus incurique par définition »
Rencontre avec deux sherpas de l’aide aux confrères en détresse
Quand la pression institutionnelle entraîne des erreurs médicales
Un médecin insulté est un médecin moins performant
Relation mentor-disciple : « Toujours par deux ils vont, le maître et son apprenti »
Philippe Cabon : « Gérer son sommeil en garde comme un pilote d’avion en vol »
Quand travailler rend le médecin malade
3 500 prothèses de genoux et une de plus, la mienne
Retrouver l’humanité de la relation médecin-patient par le théâtre
Les femmes médecins sont-elles des médecins comme les autres ?
Éric Galam : rencontre avec un pionnier
Harcèlement sexuel des jeunes médecins : 30 % des femmes et 10 % des hommes
« Relation de soin et gestion du stress » et « Soigner les soignants » : deux nouveaux diplômes universitaires
Avec le Dr Yves Leopold (CARMF) : le point sur les dispositifs d’aide aux médecins en difficulté
Stage de deuxième année à SOS Amitié : un pas vers l'écoute empathique
Harcèlement sexuel des jeunes médecins : vos témoignages
Médecins hospitaliers : ce que vous toucherez en arrêt maladie
Êtes-vous plus fort que Docteur Internet ? La téléréalité s’en mêle
« Quand on y est préparé, parler de sa propre mort, ça libère »
Des consultations de prévention anonymes pour les médecins parisiens libéraux
Un médecin américain condamné à la prison à vie pour fautes médicales
Me Maïalen Contis : sauvegarde de justice et faillite concernent aussi les médecins libéraux
Les centres de soins pour soignants en difficulté plébiscités par les professionnels
Les médecins français vont globalement bien mais restent démunis quand ils sont malades
Arrêt maladie : quelles protections pour le médecin libéral ?
Quand un pilote de chasse devient formateur de robots chirurgicaux
Pr Sébastien Guillaume : "Pour que l’erreur médicale ne conduise plus au suicide"
Dr Marie-France Hirigoyen : « Il faudrait que les médecins acceptent leur vulnérabilité »
Vous nous avez tout dit, ils commentent vos réponses
Les médecins français aiment-ils la France ou ont-ils peur de la quitter ?
Pr Pascal Hammel : le médecin est un malade comme les autres, inquiet, faillible, parfois irrationnel
Inquiets pour l'avenir, 48 % des médecins américains veulent changer d’exercice
Suicide des internes : vers un plan de prévention aux États-Unis
Do No Harm : un projet documentaire pour lutter contre les suicides de médecins
Dr Jean-Marcel Mourgues (CNOM) : « Aujourd'hui, les jeunes médecins sont tout sauf insouciants »
Droit au titre de « Soignant de soignant » : l'Ordre reconnaît et protège l'aide aux confrères en souffrance
L’ergonomie pour limiter le burn out
Quand l’Ordre impose des soins : le contrat thérapeutique catalan
Comment faire du Smartphone un allié de la consultation ?
Comment meurent les médecins ? Comme les autres…
Dr Jean-Christophe Seznec : « Les médecins doivent intégrer qu'ils auront plusieurs vies professionnelles »
Mort en maternité : quelle aide pour les soignants qui y sont confrontés
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre
Mélanie Heard (Terra Nova) : « Une adhésion massive des femmes à Kamala Harris pour le droit à l’avortement »
Et les praticiens nucléaires inventèrent la médecine théranostique