LE QUOTIDIEN : À l’Institut Curie, vous dirigez une Unité mobile de soins palliatifs et de soins de support. Votre mission consiste-t-elle uniquement à annoncer l’imminence de décès à des patients et des familles ?
Dr ALEXIS BURNOD : C’est une fausse idée encore très répandue sur les soins palliatifs. Notre rôle est d’anticiper la fin de vie, de permettre de parler de la mort mais surtout – et nous y tenons beaucoup – de proposer un plan de soins avec des objectifs de « mieux vivre » en prenant en charge la personne de manière globale et en particulier la douleur, l’angoisse, la perte de possibilités physiques et l’après…
À l’Institut Curie, les soins palliatifs s’inscrivent tôt dans la prise en charge afin de pouvoir travailler main dans la main avec l’oncologue, le patient et sa famille avant même l’arrêt des traitements oncologiques. Nous avons choisi cette option car nombre de malades parlent du moment de l'arrêt des chimiothérapies comme d’une expérience douloureuse, parfois vécue comme un abandon lorsqu'aucune autre approche de soins n’est proposée. Certains attendent parfois plusieurs jours voire plusieurs semaines avant que l’on aborde avec eux les soins de confort. Pourtant, l’accompagnement est essentiel, même lorsque la bataille contre la masse tumorale est perdue. À ce moment-là, il faut gérer la « vie avec » mais aussi la « vie sans ».
En pratique, comme se passe l’intervention de votre unité mobile ?
Être structuré en unité mobile permet d’être au plus près des patients au cours de leur parcours de soins. Nous partageons du temps de consultation avec les oncologues et nous intervenons lors des séjours hospitaliers, nous proposons aussi des hospitalisations de jour pour faire un point pluridisciplinaire sur les besoins. Nous faisons équipe avec l'oncologue et le patient.
Notre but est de devenir le référent pour tout ce qui n’est pas traitement oncologique spécifique : douleur, manque d’autonomie, prise en charge psychologique, organisation à domicile… Pour cela, nous avons besoin de temps avec le patient et sa famille pour envisager – et non provoquer – la suite de la prise en charge en replaçant le malade au cœur des soins. Nous leur expliquons souvent qu’au moment de l’arrêt des chimiothérapies, la qualité de vie peut être meilleure en l’absence d’effets secondaires du traitement. Lorsque l'arrêt des traitements oncologiques survient, nous organisons une consultation ou une hospitalisation de jour pluridisciplinaire pour établir avec le patient, un projet de soins médicaux, sociaux, infirmiesr, nutritionnels, psychologiques… Les étapes de ce protocole doivent être définies en fonction de la vie du patient ce qui permet de se fixer des objectifs qui seront de véritables victoires (la présence au mariage d'un enfant, un voyage…).
Les patients sont-ils à même de participer activement aux décisions de soins palliatifs ?
Le patient peut prendre désormais beaucoup plus part à sa prise en charge. Mais on ne peut pas passer d’un paternalisme extrême à une autonomie extrême. Le patient ne demande pas non plus qu’on lui dise tout tout le temps, ou qu’on lui annonce ce qu’il ne demande pas. La bienveillance est essentielle. Nos paroles sont guidées par l’écoute qui nous enseigne ce que la personne malade au fil du temps peut entendre. On voit qu’avec des annonces non préparées, non attendues, mal faites, le médecin peut faire beaucoup de mal à son patient voire le « fusiller » psychiquement.
Pour pouvoir accepter un certain nombre de choses, il faut que physiquement le malade les ressente. Un patient peut parler de sa fin de vie, de son traitement et de sa mort parce qu’il sent qu’il est très faible, que son autonomie est diminuée, que ses forces le lâchent. Dans ce cas, on peut le rejoindre sur une discussion de fin de vie, une discussion pleine d’émotions qui se termine toujours par un patient qui dit merci.
Quand on y est préparé, parler de sa propre mort, ça libère. Je suis frappé de constater que les gens n’attendaient que ça que l’on puisse en discuter avec eux. Ils se sentent rejoints dans ce qu’ils vivent car le plus souvent, cette question ne peut être abordée en famille. Nous laissons généralement le conjoint ou proche accompagnant assister à la discussion ; lui aussi est partie prenante car il souffre de la possible perte de l’être cher. Les patients attendent que nous les rejoignions sur un certain nombre de sujets : le choix de ne pas proposer de traitements inutiles, de tout faire pour soulager des souffrances, d’être joignable et à leur écoute, et prêts à leur dire la vérité pour être en confiance.
Pourquoi l’abord de la mort est-il tabou chez les médecins ?
Le médecin vit mal cette question car elle matérialise son échec en tant que soignant. Humainement, naturellement, le médecin est malheureux de voir que les traitements qu’il a prescrits, destinés à soigner et guérir le malade ne fonctionnent pas… Que la maladie est plus forte que lui. C’est une situation que le malade ne souhaite pas plus que son médecin. Parfois, il est difficile d’expliquer à des patients que les traitements lui font plus de mal que de bien car s’y raccrochent comme à une source d’espoir, même s’ils ont conscience qu’ils sont néfastes. Mis dans cette perspective, le médecin ressent avant tout une crainte et un certain désarroi. Il ne veut pas blesser psychiquement son patient en lui faisant perdre tout espoir.
Être médecin, c’est avant tout être empathique et on a peur de faire mal à l’autre. Et faire mal à l’autre, fait souvent du mal à soi-même. Idéalement, il faudrait plus s’intéresser au malade qu’à la maladie, surtout face à des patients que l’on connaît depuis longtemps et pour lesquels on a de l’affection.
Je reconnais que pour les médecins libéraux gérer cette situation est difficile, d’autant que contrairement aux équipes de soins palliatifs dédiés, ils n’ont pas de possibilité d’être accompagnés dans cette démarche. Ils se retrouvent souvent seuls face à une situation qui mériterait d’être discutée. Ces situations sont aussi humainement difficiles pour les soignants et réfléchir ensemble permet bien souvent de mieux repérer ce que le malade et sa famille sont aptes à entendre quand la médecine, pour guérir, atteint ses limites.
Je leur conseille de faire appel aux structures départementales dédiées (réseaux) pour être accompagnés et accompagner leurs patients. Ils peuvent aussi créer une dynamique d’équipe avec les infirmières, les kinésithérapeutes, les assistances sociales et les proches des malades. Car cette médecine est un sport d’équipe.
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