Comment en ce début 2016, un livre qui parle de la mort peut-il devenir un best-seller ? C’est la question que se sont posés le New York Times et bien d’autres médias.
La personnalité du Dr Paul Kalanithi a certainement été déterminante dans la fulgurante ascension des ventes de son livre. Sur son site internet il se présente comme un auteur, un littéraire et un médecin. Il a suivi un cursus de littérature anglaise, de biologique humaine, il a passé un doctorat en histoire et philosophie des sciences et de médecine avant d’intégrer un cursus de formation en neurochirurgie. Le tout dans des universités prestigieuses : Stanford, Cambridge, Yale… où l’étudiant s’est construit un réseau de journalistes, d’écrivains et de médecins.
C’est peut-être ce qui a permis au Dr Kalanithi de trouver des relais pour parler de sa maladie dès 2014 (1) et pour publier son livre chez un éditeur prestigieux, Random House, le 16 janvier 2016 (2). La préface de l’ouvrage a été assurée par le Dr Abraham Vergese, un médecin écrivain de l’Université de Stanford.
L’épilogue a été écrit par Lucy, l’épouse du Dr Kalanithi, qui raconte les derniers jours de son mari et les étapes de la publication du livre.
Un journal écrit comme un roman
Qu’est ce qui rend le livre du Dr Kalanithi particulièrement agréable à lire ? D’une part, une belle écriture – ce qui n’est pas étonnant quand on se réfère au parcours académique de l’auteur. D’autre part, un choix de raconter sa vie réelle de façon presque romancée, bien que l’auteur s’en défende. Le livre se lit facilement, un peu comme un roman.
On ressent cette urgence à écrire d'un littéraire qui avait mis de côté, pendant ses 7 années de résidanat, tout un pan de sa vie. Face à cette bataille qu’il sait perdue d’avance, il a besoin de prouver que son existence a été utile, à ses patients et aux malades qui souffriront de la même affection que lui.
On trouve aussi dans « When breath becomes air », un questionnement sur le rapport au temps et bien sûr à la mort. Et ces deux aspects sont d’autant plus intéressants que le Dr Kalanithi s’y penche en tant que médecin mais aussi en tant que patient. Pendant sa carrière de neurochirurgien il s’était considéré comme un « ambassadeur de la mort » et lorsqu’il est passé de l’autre côté, le rôle est revenu à Emma son oncologue qui « ne lui a pas rendu son identité antérieure, mais l’a aidé à s’en forger une autre ».
Enfin, la question religieuse est abordée, sans qu’elle prenne le pas sur les autres dimensions. Au fur et à mesure des pages, le Dr Kalanithi laisse derrière lui sa fonction de médecin pour devenir un humaniste qui insiste sur l’intérêt de définir ses propres valeurs, sur la douleur du manque qui ne doit pas faire oublier la valeur de la vie.
Une plongée dans le système de soins américain
Les soignants français trouveront dans ce livre des pistes de réflexion sur leur propre exercice, même si l’auteur, un jeune homme d’origine indienne et fils de médecin, peut leur sembler étranger. Après avoir commencé sa scolarité dans la région de New York, le jeune Paul est parti vivre dans le désert de Mojave, où son père cardiologue avait décidé de s’installer. Le décalage est net pour les trois fils et leur mère qui n'aura de cesse de permettre à ses enfants de rejoindre les meilleures facultés.
Paul, brillant étudiant, ne voulait à aucun prix être médecin, tant l’absence de son père, très occupé à travailler, lui avait pesé. Mais après des études de lettres il décida que lui aussi, comme l'un de ses frères, « devait soigner ».
Les pages décrivant les années de résidanat sont fascinantes : elles permettent d’appréhender cette façon spéciale qu'ont les étudiants hospitaliers américains de travailler et qui est bien retranscrite aussi dans les séries télévisées telles que « Grey’s anatomy » : une arrivée à l’hôpital avant 6 heures du matin, une présence au bloc dès 6 h 30 et jusqu’à très tard le soir, une obligation de travail de recherche, le poids des assurances dans la prise en charge des patients, des gardes aux urgences sans tri préalable du SAMU, une moyenne de présence de 110 heures par semaine à l’hôpital…
Le Dr Kalanithi n’hésite pas à se dévoiler en analysant l’impact de ses années d’étude sur son couple, qui au moment du diagnostic battait de l’aile. Il nous fait aussi part de son questionnement sur le veuvage inéluctable de sa femme : pour lui, il est important qu’elle puisse de remarier un jour.
Enfin, des pages très touchantes nous racontent son désir de paternité, et l’envie de laisser un enfant à sa femme. Elizabeth Acadia, dite Cady, est née 8 mois avant la mort de son père. Le Dr Kalanithi s’est émerveillé des moments passés avec elle. C’est à elle qu’il dédie son livre.
(2) Paul Kalanithi, « When breathe becomes air », Random House (pas encore de traduction française)
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