LE QUOTIDIEN : Quelle est la fonction du Service médico-psychologique des Armées ?
Dr LAURENT MELCHIOR MARTINEZ : Le Service médico-psychologique des Armées a été mis en place en 2011 afin de coordonner l’ensemble des acteurs institutionnels de la défense autour de la prise en charge du psycho-traumatisme chez le militaire. Il s’adresse à l’intégralité des troupes, sur le territoire national au sein des Centres de Santé des Armées, mais aussi en Opérations Extérieures (OPEX). Le parcours de soins des militaires est placé sous la responsabilité du SSA, mais les autres dimensions de prise en charge psycho-sociale dépendent directement du Commandement. En tant que coordinateur, mon rôle de faire en lien – dans l’urgence ou de façon différée – entre tous les acteurs institutionnels de la prise en charge globale.
Le service médico-psychologique s’intéresse en particulier à la problématique des soignants – auxiliaires de santé, infirmiers et médecins – qui lors de la participation aux OPEX sont confrontés, comme les troupes, au réel de la mort. Mais, leur position de soignant, dans ce contexte, peut les rendre plus vulnérables aux événements traumatiques et même les entraîner vers un syndrome post-traumatique. C’est ce que qui a aussi été rapporté par les soignants – militaires et civils – qui ont été confrontés aux événements du 13 novembre 2015 en France.
Existe-t-il une problématique particulière des soignants militaires en opérations extérieures ?
Être soignant en OPEX, c’est être confronté à des facteurs de fragilisation spécifiques au risque psycho-traumatique. Avant tout – et que ce soit sur le terrain ou au sein des hôpitaux de campagne – c’est l’afflux massif de blessés qui peut induire une désorganisation psychique, en particulier lorsque le soignant travaille dans un environnement peu sécurisé et donc peu sécurisant. Pourtant, les soignants militaires sont formés à cette éventualité (tri, mise en place de postes médicaux avancés…), mais l’expérience est toujours différente de la formation théorique.
Même bien entraîné, il n’est pas possible de se préparer totalement à la rencontre traumatique.
Et ce, en particulier, en raison de processus d’identification très individuels. Le blessé est en effet la plupart du temps un militaire français. Il peut même parfois s’agir d’un soignant, et dans ce cas, le processus d’identification est encore plus fort. Le soignant militaire n’est pas invulnérable et il doit le savoir. Sur le terrain ou dans les hôpitaux de campagne, le soignant peut faire appel à des psychologues militaires ou des psychiatres en cas de besoin immédiat, tout comme peuvent le faire les troupes.
Les soignants responsables d’évacuations sanitaires et ceux qui travaillent en France sont moins soumis au risque psycho-traumatique car la dimension de surprise n’est plus de mise : ils ont eu connaissance préalablement du nombre et du type de blessés.
C’est en effet de la surprise que naît la rencontre traumatique.
Quelle formation particulière reçoivent les médecins militaires pour gérer l’afflux massif de blessés ?
Aujourd’hui, les lieux de soins ne sont plus sanctuarisés, comme c’était de cas au moment de la signature de la Convention de Genève. Ils peuvent même devenir des cibles et sont donc, pour cette raison, anonymisés. Désormais, on cache nos croix rouges sur les terrains d’opération.
Pendant la formation initiale et tout au long de la carrière d’un médecin militaire, des mises en situation sont proposées régulièrement. Tous les médecins sont susceptibles de devoir répondre à un afflux massif de blessés : tri, prise en charge de blessures de guerre immédiates, même pour les médecins des forces et pas seulement les chirurgiens.
Mais quelle que soit la formation qu’ils reçoivent, ils peuvent difficilement être préparés à la situation particulière que vit le soignant au plus proche des combattants. Dans ces conditions en effet, ils connaissent les mêmes situations potentiellement traumatiques que les troupes dont ils ont la charge, mais ils doivent en plus rester soignants pour les soldats qui le nécessiteront.
La question des soins aux blessés ennemis est fréquente même si elle est rarement mise en avant par les soignants : ils soignent avant tout un être humain.
Les soignants militaires sont aussi formés au maniement des armes. Comment vivent-ils cette situation particulière ?
Lorsqu’une personne souhaite rejoindre de Service de Santé des Armées, il lui faut prendre en compte son choix d’une double carrière. Le soignant est soumis comme les troupes à une hiérarchie militaire. Il est formé au maniement des armes et aux techniques de combat. L’engagement du soignant militaire est double : vis-à-vis des patients et vis-à-vis de l’État français.
Ces deux identités professionnelles doivent cohabiter sans conflits. Certains soignants vont parfois vivre des situations de fragilisation majeure lorsqu’ils devront utiliser leur arme pour se protéger, protéger leur groupe ou défendre leurs patients. Cette question est abordée pendant la formation des soignants et rediscutée régulièrement, en particulier avant les départs en OPEX. Mais il s’agit avant tout d’une question d’éthique extrêmement complexe et individuelle difficile à appréhender avant qu’elle survienne. Tous les soignants qui ont été dans cette situation parlent de culpabilité forte. Il est important de les repérer et de les aider après de tels moments.
Qu’est-ce que le service médico-psychologique des armées peut apporter à un soignant en demande d’aide ?
Le militaire bénéficie, en opération extérieure, d’un dispositif de soutien psychologique adapté. L'objectif est la préservation de sa santé et le maintien et la récupération du potentiel opérationnel des unités, tout en garantissant la sécurité des opérations.
Dans le soin psychique on est dans l’intimité du sujet, il n’y a pas de recettes.
Les soignants militaires sont confrontés comme les troupes à un risque psycho-traumatique lié aux combats. Une partie du travail de suivi est donc élaboré autour de l’engagement initial comme militaire. La question de place de soignant est aussi abordée dans le but de faire le lien entre les deux fonctions qui peuvent sembler éloignées. Généralement, le programme de soins est long. Une inaptitude temporaire, voire définitive, aux OPEX peut être nécessaire. Cette situation est souvent douloureuse, car elle accompagnée d’un sentiment de déclassement.
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