LE QUOTIDIEN : L’étude UKPDS fait encore parler d’elle, avec 44 ans de recul. Quels sont les nouveaux enseignements de cette étude sur le long terme ?
Pr SERGE HALIMI. Pour mémoire, l’étude UKPDS, débutée en 1977, visait à répondre à une question simple : une prise en charge intensive du diabète de type 2 (DT2), chez des patients nouvellement diagnostiqués, permet-elle de réduire, ou de retarder, la survenue de complications ? Elle avait randomisé un peu plus de 4 000 patients en trois bras : traitement intensif par sulfamides et/ou insuline, traitement intensif par metformine chez un petit groupe de patients en surpoids, ou traitement conventionnel chez des sujets pour partie d’entre eux en surpoids. Dans ce 3e bras le contrôle était assez laxiste puisque l’objectif de glycémie à jeun (l’HbA1c n’était pas utilisée au début de l’étude) était < 15 mmol/L.
Les premiers résultats, présentés en 1998, avaient eu des conséquences importantes sur la prise en charge du diabète, puisqu’ils avaient souligné les bénéfices d’une prise en charge intensive sur le risque de complications microvasculaires. La réduction du risque d’infarctus du myocarde n’était pas significative. Le maintien des patients inclus dans ces trois bras de traitement s’est arrêté en 1997, leur prise en charge est devenue libre, mais leur suivi a continué annuellement pendant cinq ans, puis par questionnaires administrés 6 et 10 ans plus tard.
Les taux d’HbA1c, qui différaient d’un point à la fin de l’étude, se sont assez rapidement rejoints. Mais, malgré la disparition des différences observées initialement sur les glycémies, les bénéfices du traitement intensif par sulfamides/insuline sur le risque de complications microvasculaires à long terme se sont, eux, maintenus et un effet significatif est apparu sur le risque de complications macrovasculaires.
Il en a été de même pour les bénéfices du traitement intensif par la metformine sur le risque de complications macrovasculaires.
En d’autres termes, les patients ayant eu un traitement intensif au départ en tiraient profit vingt ans après. Un effet qualifié d’héritage, de mémoire glycémique.
Cette mémoire glycémique se maintient ?
Les données présentées lors du congrès, qui portent sur un suivi à très long terme, de 1977 à 2021, soit 44 ans, confirment cet effet positif d’une prise en charge intensive initiale. La dissociation entre le groupe traitement intensif et traitement conventionnel a persisté entre 2007 et 2021 sur tous les critères analysés, qu’il s’agisse des événements en lien avec le diabète quels qu’ils soient, des infarctus du myocarde, de la mortalité de toute cause ou des complications microvasculaires. Les bénéfices sur le long terme sont encore plus marqués chez les patients qui avaient initialement été traités par la metformine, comparativement à ceux qui avaient eu un traitement conventionnel.
Ainsi, plus le temps passe, plus les effets positifs d’un contrôle précoce de la glycémie sont importants. Concrètement, si l’on prend le cas d’un homme de 50 ans chez qui un DT2 vient d’être diagnostiqué avec une HbA1c à 8 %, un contrôle immédiat de la glycémie à 7 % poursuivi pendant 20 ans s’accompagne d’une réduction du risque de décès de 18,6 %. Si l’HbA1c persiste pendant 10 ans à 8 % puis est abaissée à 7 % pendant les 10 années suivantes, la baisse du risque relatif de décès n’est plus que de 6,6 %.
Il faut donc agir vite et fort, notamment chez les plus jeunes ?
Le diabète touche en effet de plus en plus d’adultes jeunes, particulièrement dans les populations les plus défavorisées. Or, chez les plus jeunes, les complications rénales, rétiniennes, mais aussi macrovasculaires, surviennent plus rapidement. Il faut donc traiter tôt et de façon intensive et dans ce contexte, et les nouvelles approches thérapeutiques — incrétines, inhibiteurs de SGLT2 — ont certainement une place privilégiée.
La mesure continue du glucose prend-elle le pas sur l’autosurveillance ?
La mesure continue du glucose a fait l’objet de nombreuses communications, qui ont confirmé son intérêt médical et économique, ainsi que sa faisabilité en pratique quotidienne chez les personnes avec un diabète de type 2. Elle devient un substitut à l’autosurveillance glycémique, avec toutefois deux bémols. Une possible mauvaise tolérance locale, bien mise en évidence dans un travail parisien, présenté par Jean-Pierre Riveline. Sa reconnaissance et sa gestion par les praticiens méritent d’être améliorées. Et le problème plus large du recyclage des déchets (dispositifs, emballages, embouts, pompes jetables etc.), qui participent à l’empreinte carbone des soins de santé, qui seraient globalement responsables de 4,4 % des émissions de gaz à effet de serre. Lorsqu’on les interroge, 90 % des patients se disent préoccupés par cet amoncellement de déchets (cartons, stylo, cathéters, pompes jetables, multiples pièces plastiques etc.), sans même compter les questions liées au risque sanitaire.
Quelles sont les dernières avancées thérapeutiques ?
Les insulines hebdomadaires, dont les plus avancées (Icodec et BIF) sont désormais en phase 3 d’évaluation clinique, constituent un progrès indéniable dans la prise en charge du diabète de type 2 [lire p. 32]. Comme les agonistes du GLP-1 hebdomadaires, elles facilitent l’acceptation du traitement et on peut espérer demain alléger les contraintes, avec le recours à une insuline et un agoniste du GLP-1 injectés une fois par semaine. Une avancée qui ne concerne cependant que les pays développés, les patients de nombreux pays n’ayant toujours pas accès aux insulines modernes.
Les recherches sur les co-agonistes ne sont pas en reste. Après les résultats très intéressants sur le poids et l’HbA1c obtenus avec le tirzépatide, agoniste double des récepteurs GIP-GLP1, et les données précliniques prometteuses d’un tri-agoniste (GLP-1, GIP et glucagon) ont été présentées au cours de ce congrès.
Le rein a aussi été au cœur de nombreuses communications ?
C’était l’une des thématiques pivot du congrès, qui a permis de rappeler le rôle de marqueur de risque cardiovasculaire de l’atteinte rénale, dont la prise en charge doit être précoce. La maladie rénale chronique dans le diabète de type 2 est très hétérogène, ses différentes composantes sont peu à peu disséquées et il semble important d’aller plus loin dans notre analyse et de faire la distinction ente néphropathie diabétique et maladie rénale chez le DT2 afin de mieux cibler le traitement en fonction du profil du patient. Au niveau thérapeutique, la finérénone, nouvel antagoniste des récepteurs aux minéralocorticoïdes, aurait un effet rénal additif à celui des inhibiteurs de SGLT2.
Exergue : Plus le temps passe, plus les effets positifs d’un contrôle précoce de la glycémie sont importants
Entretien avec le Pr Serge Halimi, faculté de médecine Grenoble
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