Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a été saisi en avril 2022 par le directeur général de la santé, qui questionnait une évolution de l’avis de 2018, ne recommandant pas le dépistage systématique de l’infection à cytomégalovirus (CMV) pendant la grossesse. Cette saisine faisait principalement suite aux publications actualisées concernant l’infection maternofœtale, en particulier celles proposant un traitement visant à réduire la transmission au fœtus et les risques de séquelles.
Épidémiologie, éthique, biologie, clinique, pharmacologie : l'ensemble des champs concernés a été réexaminé
Le groupe de travail ainsi réuni s’est appuyé sur une analyse de la littérature et, bien que l’avis précédent fût récent, il s’est astreint à embrasser l’ensemble des champs concernés : épidémiologie, éthique, biologie, clinique, pharmacologie… Alors qu’une réponse rapide était initialement attendue (puisqu’il s’agissait d’une mise à jour), ce travail a finalement duré plus de 18 mois et a engendré un rapport de 266 pages (1). Ce qui confirme la complexité de la thématique mais aussi la volonté des experts de rendre un avis argumenté, mesuré, exhaustif et extrêmement détaillé. Le groupe de travail a vérifié que chacun des principes du « bon » dépistage, tels qu’initiés par Wilson et Jungner et mis à jour en 2020 par l’Organisation mondiale de la santé, était rapporté.
À l’échelle nationale, une problématique modeste
En premier lieu, le groupe de travail n’a pas retenu dans son rapport l’infection congénitale à CMV comme un problème de santé publique. Cette pathologie représente indéniablement une thématique d’importance pour les soignants de la périnatalité et, plus encore, pour les couples dont l’enfant est porteur de séquelles liées à cette infection, dont il est important de reconnaître la souffrance et les difficultés. Cependant, du strict point de vue de la santé publique, et en s’affranchissant de toute position passionnelle ou compassionnelle, l’infection congénitale à CMV reste une problématique modeste à l’échelle de l’ensemble de la population française.
En ce qui concerne ensuite la prévention primaire, les entretiens et les analyses ont montré que la mise en place des règles d’hygiène était insuffisante et qu’il fallait accentuer les campagnes de prévention, tant auprès des professionnels de santé que des futurs parents. Ce dernier point constitue un enjeu majeur.
1 à 6 pour 100 000
C’est la proportion de nouveau-nés qui auront des séquelles d'une infection
Tests et intervention en question
La troisième thématique abordée par le rapport concerne la fiabilité des tests qui a, depuis longtemps, été soulignée comme une limite majeure. Si leur performance s’est améliorée, leur interprétation reste délicate, avec la nécessité de recourir, dans certains cas, à un niveau d’expertise élevé. Ce qui invalide le principe d’outils simples à mettre en œuvre et à interpréter.
L’élément central de la saisine concernait la mise en place d’une intervention efficace et sans risque. Il a été assez facile d’écarter le traitement par immunoglobulines. Le traitement le plus prometteur est le valaciclovir, qui a fait l’objet d’une étude randomisée, publiée dans The Lancet, et de plusieurs études rétrospectives. S’il est indéniable que ces travaux sont conceptuellement intéressants, et qu’ils offrent des hypothèses enthousiasmantes, il n’en demeure pas moins qu’ils sont limités, sur le plan méthodologique et dans leur capacité à démontrer une réduction significative des séquelles chez les enfants infectés in utero. Et, par manque de puissance, la sécurité reste encore incertaine à ce stade. Des travaux vraisemblablement multicentriques et/ou internationaux sont encore nécessaires pour évaluer l’efficacité d’une prise en charge thérapeutique adaptée pour réduire les conséquences d’une infection maternofœtale mise en évidence dans le contexte d’un dépistage universel.
Pas de bon timing
La temporalité du dépistage est probablement l’élément qui est le plus problématique car il existe encore des incertitudes quant à l’estimation du meilleur moment de sa réalisation. Une première sérologie vers sept semaines d’aménorrhée (SA) permettrait de débuter un traitement plus précoce et plus efficace, ce qui n’est cependant pas formellement démontré. Elle ne permettrait néanmoins pas de toucher la majorité des femmes, faute d’un temps formalisé dans le suivi actuel de grossesse à cet âge gestationnel ou en raison d’un taux incompressible de découverte plus tardive de grossesses. Une sérologie entre 11 et 14 SA, en parallèle du dépistage de la trisomie 21, pourrait à l’inverse manquer d’efficacité en raison d’une prise en charge trop tardive.
Enfin, si l’acceptabilité du dépistage par les professionnels de santé est probable, celle par les patientes pourrait être insuffisante, ce qui diminuerait l’efficacité potentielle du dépistage. Cela justifie d’autant plus une information loyale et éclairée, à une période de la grossesse au cours de laquelle l’afflux d’informations et de prises de décision est déjà conséquent.
Au regard des éléments développés par le groupe de travail, et partant du principe que les règles d’un bon dépistage n’étaient pas formellement réunies, le HCSP a donc maintenu son avis de 2018, et ne recommande pas de mettre en œuvre un dépistage systématique de l’infection à CMV chez les femmes enceintes.
Seules d’autres publications, démontrant avec force tout l’intérêt du dépistage, suivi d’une prise en charge permettant une réduction des séquelles, pourraient amener le conseil à changer cette position. Cependant, l’avenir de cette question est suspendu à la perspective d’un vaccin contre le CMV, qui viendrait alors bouleverser les modalités de prévention primaire.
Département de gynécologie-obstétrique, CHU de Montpellier
(1) Dépistage systématique de l’infection à cytomégalovirus pendant la grossesse. Rapport du HCSP, février 2024
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